Construire la coopération – La compréhension

Avant-propos

Cette série d’articles n’a pas pour vocation de se substituer à l’aide d’un professionnel de santé mental. C’est un condensé de divers conseils, qui peut être vu comme de « grandes lignes » ; certains éléments peuvent ne pas s’appliquer à vous. Certains points abordés pourraient être source d’angoisse. Soyez précautionneux et critique dans votre lecture.

En cas de doute, parlez-en avec votre thérapeute. Il ou elle connaît les spécificités de votre situation et sera la personne la mieux placée pour vous conseiller.

Dans une volonté d’utiliser le vocabulaire le plus neutre possible, nous utiliserons ici le terme « identité » pour parler des différents états d’identité/parts/identités alternantes/alters/etc.

La bibliographie est disponible à la fin de l’introduction.

Les notions de base

Les identités existent pour une raison. Elles ont été utiles dans votre passé. Elles vous ont permis de faire face à vos traumas et à la violence. Elles sont la raison pour laquelle aujourd’hui, vous êtes encore en vie. Pour certaines d’entre elles, c’est évident ; pour d’autres, ça peut être plus difficile à imaginer et comprendre.

L’une des choses les plus importantes à retenir, c’est que les identités ont toujours une raison de se comporter comme elles le font. Vous n’êtes pas obligé de comprendre cette raison, mais il sera nécessaire de la respecter – la respecter ne veut pas dire tout accepter, mais nous reviendrons sur ce point dans les étapes suivantes.

Une autre chose importante à savoir : la compréhension se développe avec le temps. Vous n’êtes pas obligé de comprendre tout votre système dès le premier jour. Il y a des identités dont le caractère pourrait être trop opposé au vôtre, trop fort, trop agressif ou, au contraire, trop permissif, trop dans la détresse et l’impuissance. Ce n’est pas grave si vous ne pouvez pas être ouvert à tout le monde du premier coup ; c’est même plutôt normal.

En effet, un des symptômes de trouble dissociatif complexe est la présence de peur, souvent mutuelle et intense, entre les identités. Dans la littérature, cette peur est appelée « phobie des parts dissociées ». Elle va souvent de pair avec la « phobie de l’expérience interne », qui consiste en un évitement de tout ou une partie de ce qui se passe dans l’esprit et dans le corps (pensées, émotions, sensations, ressentis, etc.). Comme n’importe quelle phobie, on ne peut pas juste « se forcer » et espérer que ça passe – bien au contraire, si on insiste trop, on risque de la renforcer.

C’est pour cette raison qu’il ne faut pas hésiter à prendre votre temps et à aborder vos identités petit à petit. Plutôt que de chercher à rejeter totalement ou vous forcer à accepter les identités qui génèrent encore des réactions très fortes et désagréables chez vous, vous pouvez leur dire « Je sais que tu as un rôle important, mais toute cette situation est beaucoup pour moi. J’ai besoin d’un peu de temps avant d’être capable de t’accueillir correctement. » Toutes ne le prendront pas forcément bien, mais vous leur montrez que vous comptez faire un effort.

Comment débuter ?

Vous pouvez commencer par essayer de comprendre leur point de vue sur une situation particulière. Attention tout de même : ne commencez surtout pas par des souvenirs traumatiques. Ces souvenirs-là, il est préférable qu’ils soient abordés en présence de votre thérapeute, qui pourra vous aider à y faire face. Choisissez plutôt des souvenirs neutres ou heureux. Demandez-leur si elles aussi s’en souvenaient et ce qu’elles en pensent.

Si certaines de leurs réactions vous semblent étranges, demandez-leur de vous expliquer le pourquoi du comment et écoutez-les sans les juger. Les mot-clefs de cette étape sont : la curiosité et la bienveillance. Encore une fois, une identité agit toujours pour une raison et cette raison traduit souvent un besoin plus profond. Ce n’est pas parce que la raison vous semble étrange qu’elle n’est pas valide.

Vous pouvez aussi leur demander quel rôle elles ont dans votre système et ce qui est important à leurs yeux. Vos identités peuvent avoir toute une variété de rôles et chacun vient traduire un besoin. Si vous arrivez à découvrir ces besoins, cela pourrait vous permettre de mieux comprendre leur point de vue sur le monde et vous-même.

Adopter leur perspective

Dites-vous bien que vous n’êtes pas seul dans cette situation : vos identités sont dans le même bateau que vous. C’est effrayant pour elles aussi – c’est d’ailleurs pour cette raison que certaines font des choses qui peuvent être effrayantes pour vous. Elles ont peur, elles sont parfois également en colère, et elles sont prêtes à faire tout et n’importe quoi pour se sentir en sécurité.

Pour certaines, ça passe par des émotions et des actes extrêmes, voire dangereux pour vous, qui peuvent vraiment vous terrifier ; une chose à comprendre, c’est que la gravité de ces actes et l’intensité de ces émotions sont à la mesure de leur peur et de leur souffrance. C’est humain, c’est normal d’être prêt à tout pour ne plus avoir peur, pour ne plus souffrir, surtout lorsque ça fait des années qu’on vit dans cet état.

Comme vous, certaines de vos identités peuvent avoir de l’amnésie. Certaines pourraient ne rien connaître d’autre que les souvenirs de leurs traumas. Ça pourrait être la seule chose qu’elles connaissent du monde. Cela rend la discussion autour de souvenirs neutres et positifs d’autant plus importante. Ces identités pourraient découvrir que le monde ne se résume pas à de la violence et de la douleur, qu’il est aussi possible de vivre des moments de calme et de joie.

Comme vous, certaines de vos identités peuvent ne pas être au courant de tout ce qui se passe à l’intérieur de vous-même. Certaines pourraient ne même pas avoir conscience d’être une identité dans un corps humain qui contient d’autres identités. Certaines pourraient avoir eu cette réalisation en même temps que vous et être aussi perturbées que vous par cette nouvelle.

Il est donc nécessaire d’apprendre à les comprendre, petit à petit, à votre rythme. Avec cette capacité à les comprendre qui va se développer, vous pourrez également apprendre à être bienveillant envers elles et elles envers vous.

Encore une fois, si jamais certaines identités sont trop compliquées à comprendre pour vous, qu’elles génèrent des émotions trop fortes pour que vous puissiez adopter une posture bienveillante, vous n’êtes pas obligé de vous forcer. Par contre, il faudra bien faire attention à plusieurs choses :

  • garder une attitude la plus respectueuse possible, peu importe celle de l’identité en face
  • ne pas perdre de vue que vous faites partie de la même équipe
  • ne pas oublier que le comportement qui vous pose problème aujourd’hui vous a, un jour, sauvé la vie.

Aborder les comportements problématiques

Les comportements de vos identités peuvent vous poser problème pour tout un tas de raison. Comme énoncé plus haut, ces comportements vous ont aidé à un moment de votre vie, mais certains ne sont désormais plus adaptés. Comprendre l’origine de ces comportements, comment ils ont pu évoluer (ou ne pas évoluer) à travers le temps et les besoins qu’ils traduisent pourrait vous aider à trouver des compromis avec les identités qui agissent.

Évidemment, si vous pouvez communiquer avec cette identité et en parler directement avec elle, c’est la chose la plus simple à faire. Ceci dit, il arrive que certaines identités ne parlent pas, s’expriment uniquement à travers des images et des sensations, refusent de communiquer ou bien sont incapables d’expliquer ce qui les pousse à agir. Certaines identités pourraient donner des réponses toutes faites (« j’étais en colère, c’est tout ») ou fuir le dialogue pour cacher le fait qu’elles ne savent pas vraiment pourquoi elles agissent comme elles le font. Dans de tels cas, il va falloir creuser.

Attention : il ne s’agit pas d’aller creuser dans les traumas, mais dans les caractéristiques de ces comportements. Ce travail est d’un niveau plus élevé que la « simple » compréhension. Il est possible que se pencher un peu plus sur certains comportements fasse remonter des émotions difficiles, génère de l’angoisse ou soit déstabilisant. Si cela vous arrive, alors il vaudra mieux travailler tout ça avec votre thérapeute.

C’est parce que ces comportements ont été mis en place il y a longtemps qu’ils peuvent être difficiles à comprendre : ils font références à des évènements du passé, qui peuvent être radicalement différents du contexte présent. Pour les identités qui sont à peu près ancrées dans ce présent, faire le lien entre l’évènement initial du passé et le contexte actuel peut ne pas être évident. Parfois, tout est très clair et coule de source. Parfois, c’est totalement obscur.

Ça peut être d’autant plus obscur qu’il est possible que d’autres évènements, d’autres croyances, d’autres traumas soient venus modifier le comportement de base, jusqu’à ce qu’il devienne ce qu’il est aujourd’hui.

Ainsi, certaines informations peuvent être intéressantes :

  • L’âge, le genre et les caractéristiques principales de l’identité, qui peuvent indiquer le moment de votre vie, le contexte, l’environnement où ce comportement problématique a pu être utile.
  • Le comportement répond-il à un schéma de combat / fuite / figement / soumission ?
  • Le moment et le contexte présent dans lequel ce comportement s’exprime, ainsi que les caractéristiques précises de ce contexte (heure de la journée, personnes présentes, émotions ressenties, autres identité éventuellement impliquées, ce qui s’est passé avant/pendant/après, etc.).
  • Les caractéristiques précises des contextes dans lesquels vous vous seriez attendu à voir ce comportement s’exprimer, mais où il ne s’est rien passé. Ainsi, vous pourrez les comparer avec les caractéristiques des moments où l’identité a effectivement agi.

Si vous le pouvez, n’hésitez pas à en discuter avec vos autres identités. Il est possible qu’elles aient des informations que vous n’avez pas, qu’elles comprennent certaines choses avant vous, etc.

Si vous arrivez à comprendre les mécanismes derrières ce comportement problématique, vous aurez plus de facilité à comprendre le besoin qu’il traduit – car, encore une fois, une identité ne fait rien jamais rien par hasard. Il y a toujours une logique, un besoin, derrière tout ce que vos identités font. Ceci dit, la logique de vos identités n’est pas toujours la logique au sens commun du terme. C’est encore plus vrai si on considère que votre cerveau s’est développé dans un environnement traumatique : la logique du « monde normal », vos identités peuvent mal la connaître, voire ne pas du tout la connaître.

Il est aussi possible qu’une identité n’agisse pas pour elle, mais pour une autre identité, souvent dans un but de protection. Ce but peut être un réflexe et l’identité protectrice peut ne pas se rendre compte qu’elle est en train d’en protéger une autre. Elle peut réagir à cause d’émotions ou sensations négatives déclenchées par l’identité vulnérable qu’elle n’arrive pas à supporter, sans qu’il y ait d’intention consciente derrière.

Par exemple, une identité qui s’énerve très vite et qui insulte facilement les autres gens pourrait, dans le fond, avoir besoin de se sentir en sécurité. Ça, c’est le niveau « facile ». Une explication plus complexe pourrait être que son agressivité est déclenchée par la peur d’une autre identité, qu’elle protège plus ou moins directement, plus ou moins consciemment. Enfin, il est possible qu’une identité avec un comportement agressif fasse les deux à la fois, selon le contexte : parfois, c’est elle-même qu’elle protège et parfois, c’est une autre identité apeurée.

Un autre exemple pourrait être celui d’une identité qui critique violemment tout ce que fait la ou les identités qui gèrent le quotidien. Cela peut traduire sa propre peur face à certains gestes, personnes ou contextes ; ça peut aussi être en réaction à la peur d’une autre identité, pour essayer de faire en sorte que le système évite le contexte effrayant la prochaine fois et ne déclenche plus cette identité.

Une fois le comportement décortiqué et les besoins compris, il vous sera plus simple de trouver des compromis et des solutions pour rassurer tout le monde. Dans le cas où une identité agit pour le compte d’une autre, il est possible d’apprendre à l’identité protectrice d’autres moyens de prendre soin de l’identité en détresse, tout en apprenant à rassurer cette dernière.

Conclusion

Sans vos identités, vous ne seriez pas capable de fonctionner aussi bien aujourd’hui. Je peux comprendre que ce soit difficile à croire ou bien frustrant à entendre si votre niveau de fonctionnement est très bas, si vous êtes très handicapé par la dissociation. Cependant, l’intensité de cette dissociation, l’existence de vos autres identités, c’est ce qui vous évite d’être complètement submergé par les ressentis et les émotions intenses des traumas que vous ne pouvez pas encore gérer.

Chaque identité est présente pour une raison, parfois même pour plusieurs raisons. Plus vous développerez vos capacités de compréhension à leur égard, mieux vous pourrez cerner ces raisons, mieux vous pourrez cerner leurs besoins et meilleure sera votre coopération.

Gardez à l’esprit que vous avez tous le même but : vous sentir en sécurité. Ça n’est pas toujours évident à voir, certaines identités peuvent avoir des comportements très peu adaptés, voire destructeurs. Ceci dit, il y a une raison derrière ces comportements, il y a des besoins. Si vous prenez le temps d’y faire attention, en respectant votre rythme et celui de vos identités, les choses se dénoueront progressivement.

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