Construire la coopération – Définir les limites

Avant-propos

Cette série d’articles n’a pas pour vocation de se substituer à l’aide d’un professionnel de santé mental. C’est un condensé de divers conseils, qui peut être vu comme de « grandes lignes » ; certains éléments peuvent ne pas s’appliquer à vous. Certains points abordés pourraient être source d’angoisse. Soyez précautionneux et critique dans votre lecture.

En cas de doute, parlez-en avec votre thérapeute. Il ou elle connaît les spécificités de votre situation et sera la personne la mieux placée pour vous conseiller.

Dans une volonté d’utiliser le vocabulaire le plus neutre possible, nous utiliserons ici le terme « identité » pour parler des différents états d’identité/parts/identités alternantes/alters/etc.

La bibliographie est disponible à la fin de l’article d’introduction de la série.

Les notions de base

Une chose importante qui permet l’apaisement, c’est le fait de poser des limites, de fixer des règles claires pour tout le système. Cela participe autant à la sécurité extérieure qu’à la sécurité intérieure.

Mais qu’est-ce qu’une limite, concrètement ?

C’est une demande qui permet de respecter un besoin propre à la personne qui l’exprime. Une limite n’a pas pour but de contrôler le comportement de l’autre, mais de se protéger soi. Effectivement, la nuance est parfois délicate. Une limite ne peut s’appliquer qu’à vous et à ce qui vous appartient.

Par exemple, demander à ce qu’un invité respecte le rangement de votre maison est une limite raisonnable. Exiger qu’un invité fraîchement débarqué vous aide à ranger votre maison ne l’est pas.

Dans le cas des troubles dissociatifs complexes, les limites et les règles se fixent également entre les différentes identités. Elles permettent de gagner en cohérence et en sentiment de sécurité. Elles doivent respecter les besoins de chacun. Encore une fois, le but n’est pas de contrôler le comportement les uns des autres, mais de faire avec les besoins globaux, les contraintes extérieures et les contraintes intérieures.

Par exemple, demander à ce qu’une identité enfant reste à l’intérieur lorsque vous êtes au travail est une limite raisonnable. Demander à ce qu’une identité enfant ne sorte jamais ne l’est pas. Cette identité enfant a le droit de demander à avoir un temps pour elle prévu dans la semaine.

Ce sera à votre système de définir ses propres règles, selon ses propres besoins, mais il y en a trois qui sont vitales dans la construction de la coopération :

  • Pas de violence les uns envers les autres.
  • On n’agit pas à l’extérieur sans le consentement des autres.
  • Quoi qu’il arrive, on ne perd pas de vue que chacun fait du mieux qu’il peut.

La première règle garantit que l’intérieur de votre tête est un espace sécure où chacun peut se réfugier sans craindre de violence. Certaines de vos identités pourraient avoir du mal avec cette règle, parce qu’elles ont pour but de devancer les violences, d’être violentes à l’intérieur afin d’éviter les violences à l’extérieur et/ou parce qu’elles ne savent pas s’exprimer autrement. Pour ces identités, l’apaisement est très important, afin qu’elles comprennent que le temps où elles devaient anticiper les violences est terminé, que vous puissiez trouver ensemble des manières de gérer les situations qui les déclenchent et les aider à trouver de nouvelles manières de s’exprimer.

La seconde règle permet de donner une certaine cohésion au système, mais elle vaut pour toutes les identités, vous y compris ! Certaines personnes avec un trouble dissociatif complexe ont pris l’habitude d’agir selon ce qu’elles pensent être la bonne solution, sans prendre le temps de demander leur avis aux autres identités. Parfois, ça peut être une attitude nécessaire : en situation d’urgence, vous n’avez pas le temps de faire une réunion ! Mais il ne faut pas que cette absence de considération devienne un réflexe, car ce n’est pas ainsi que vous construirez votre capacité à coopérer.

Ça peut être frustrant de devoir faire de la place aux autres identités. Ça peut aussi faire peur, voire être terrifiant. Ça peut donner l’impression de ne plus avoir le contrôle sur sa propre vie… et c’est exactement le sentiment qu’ont vos autres identités lorsque vous prenez des décisions sans les consulter. Cela peut être à l’origine de beaucoup de ressentiment et de colère à votre encontre ; tout comme vous pourriez vous-même être en colère contre certaines d’entre elles, qui agissent elles aussi sans vous consulter.

Malheureusement, vouloir le contrôle absolu du corps et de votre vie est un souhait impossible. Chacune de vos identités est un bout de votre cerveau, possède un bout de la mémoire et des capacités de ce corps : vous avez besoin de chacune de vos identités pour fonctionner. Plus vous essaierez de garder le contrôle rien que pour vous, plus vous augmenterez les niveaux de dissociation entre vous et vos autres identités, moins vous serez capable de communiquer et coopérer, plus vous aurez d’amnésie et de problèmes pour fonctionner. Au final, plus vous voudrez le contrôle et moins vous aurez le contrôle.

A l’inverse, si vous apprenez à coopérer, il y aura de moins en moins de luttes, de plus en plus de partage et de communication, jusqu’à ce que la coopération devienne une seconde nature. La sensation de « perte de contrôle » se dissipera complètement. Vous serez tous au contrôle de votre vie, tous ensemble, sans que personne ne soit laissé derrière. Ça peut sembler inimaginable ou trop difficile, quand on est au tout début de son parcourt de guérison, mais c’est possible et ce n’est pas si submergeant que ça. C’est une question de travail et d’habitude.

La dernière règle vient compléter la première. Considérer que chacun fait de son mieux, ça signifie que si une identité n’a pas réussi à suivre les règles, c’est parce qu’elle a eu un problème : elle a été déclenchée, elle a besoin de plus de soutien de la part des autres, elle manque encore de ressources, la règle est trop restrictive, la solution qu’on pensait avoir trouvé n’est, en fait, pas la bonne ou bien elle pourrait avoir besoin de plus de temps pour réussir à utiliser ces nouvelles compétences, etc. Partir du principe que chacun fait du mieux qu’il peut avec ce qu’il a, cela vous permettra de vous pencher sur les ressources manquantes, sur les solutions à trouver, plutôt que d’accuser, de blâmer et de punir.

Ainsi, si les limites sont nécessaires, elles ne doivent pas être rigides et décidées par une seule identité. Il est important de les évaluer, les ré-évaluer, de faire des compromis et de prendre en compte les points de vue et les besoins de chacun. Ces points de vue et ces besoins peuvent changer avec le temps, et les limites peuvent changer également. Elles doivent également pouvoir s’adapter selon le contexte et ne peuvent donc pas être des règles absolues et immuables.

Expliquer les limites, ce à quoi elles servent, pourquoi elles sont importantes, dans quelle mesure il faudra parfois les contourner : tout ça sera un sujet sur lequel il vous sera nécessaire de communiquer, voire de communiquer souvent. La répétition, pour contrebalancer les nombreuses expériences négatives que vous avez vécues, fait partie des étapes incontournables de la guérison. N’hésitez pas à transmettre ces limites en utilisant tous vos moyens classiques de communication (à l’écrit, à l’oral, dans votre journal, sur des post-its, etc.). Vous ne pourrez jamais trop communiquer au sujet de vos limites et des besoins de chaque membre de votre système.

Comme pour le reste, vous pouvez prendre votre temps. Vous n’êtes pas obligé de vous asseoir et de définir toutes les règles là, maintenant, tout de suite. Vous pouvez vous contenter de vous mettre d’accord sur une première limite, de la travailler, puis une fois qu’elle sera acquise, de vous mettre d’accord sur une autre, et ainsi de suite.

Les limites et les conséquences de leur franchissement

Certaines identités, surtout celles pour qui l’obéissance est un point sensible (en positif ou négatif), pourraient avoir du mal avec la flexibilité des limites et des règles. Soit elles pourraient chercher à s’y conformer à tout prix et prendre peur, s’énerver quand la situation demande à ce que le système en dévie ; soit elles pourraient chercher à les pousser le plus loin possible, pour en découvrir toutes les variations et voir ce qui se passe lorsqu’elles sont franchies.

Un autre problème commun est que certaines de vos identités pourraient avoir du mal à réaliser l’importance de certaines limites et leur impact bénéfique tant qu’elles ne l’auront pas expérimenté elles-mêmes. D’autres identités pourraient simplement être trop impulsives et avoir besoin de temps et d’aide pour apprendre à se canaliser.

Ainsi, il est nécessaire que le franchissement inadapté des limites entraîne des conséquences. Attention, on ne parle pas de punition ! Les conséquences doivent être logiques, proportionnelles et adaptées. Elles marquent le fait que l’acte n’était pas adéquat et permettent d’ouvrir la porte au dialogue, afin de trouver des solutions pour que la situation ne se reproduise pas.

En général, elles prennent la forme d’une réparation : demander pardon, nettoyer ce qu’on a sali, racheter de qu’on a cassé, etc. Enfin, une fois l’acte réparé, il faut prendre le temps de réfléchir ensemble à la raison pour laquelle cette situation s’est produite, les émotions qu’il y avait derrière les actes, les besoins qui ont déclenché ces émotions et réactions, puis réfléchir à ce qui pourrait être fait pour ne pas que tout cela recommence.

Pour reprendre l’exemple de l’invité dans votre maison, si celui-ci renverse un vase, il est normal qu’il demande pardon et qu’il aide à nettoyer l’eau qui a coulé par terre. En revanche, ça ne serait pas une réponse adaptée que de lui faire nettoyer toute la maison ! Si jamais ça arrive plusieurs fois, au lieu de se dire d’entrée de jeu qu’il le fait exprès, il pourrait être intéressant de se demander si l’endroit où était placé le vase est réellement le bon : peut-être est-il trop au bord du meuble ou peut-être que le meuble est trop au milieu du chemin ? Si, malgré tout, le vase continue d’être renversé, on pourra alors se poser la question de l’intention de la personne qui agit : est-ce un moyen d’attirer l’attention ? de rester plus longtemps chez vous pour éviter la solutide ?

Avec les personnes extérieures, une conséquence adaptée au franchissement de certaines limites peut être le fait de prendre de la distance ou de rompre la relation, afin de vous protéger. Avec votre système, ce genre de résolution sera évidemment difficile à tenir sur le long terme. Vous partagez le même corps, le même cerveau ! Sur le court terme, dans la majorité des cas, cela est également néfaste pour l’établissement d’une relation solide basée sur la confiance.

Vous avez le droit d’avoir besoin d’un petit moment pour vous calmer, mais décider de couper toute communication de manière systématique, après chaque bêtise, cela tient plutôt de la punition. Etre en lien avec les autres est besoin. Et, contrairement aux personnes extérieures, vos identités ont toujours pour but la protection générale du système – votre protection. A moins de circonstances vraiment exceptionnelles, qui vous mettent objectivement en danger, couper le contact n’est que très rarement une conséquence adaptée.

Il arrive que les conséquences génèrent beaucoup d’inconfort, surtout si les identités n’ont pas l’habitude d’y faire face. Certaines pourraient réagir avec de l’agressivité ou de l’angoisse. Essayez de comprendre pourquoi cette identité réagit ainsi. Discutez-en avec elle et avec les autres.

Peut-être que la conséquence n’est pas comprise ; peut-être que l’identité confond « conséquence » et « punition », qu’elle a peur que la conséquence ne se transforme en violence et privation ; peut-être que l’identité est terrifiée à l’idée que tout cela signifie que vous ne l’aimez plus, qu’elle ne fait plus partie du groupe. N’hésitez pas à parler de ces croyances et à rassurer le reste de votre système sur ces sujets.

Aborder la question de l’inconfort avec empathie peut grandement aider. Cela dit, si la conséquence est logique et adaptée, vous n’avez pas à la modifier. C’est cet inconfort, s’il est accompagné avec bienveillance et compassion, qui motivera le changement.

Enfin, il est important que tout le monde soit prévenu des conséquences avant que celles-ci ne soient imposées. Cela permet notamment de s’assurer que les limites sont adaptées à tous et que les conséquences sont proportionnelles et ne causent pas de dégâts supplémentaires.

Si des situations que vous n’avez pas pu anticiper se produisent, évitez d’y accoller des conséquences trop importantes la première fois. A moins que vous ayez été en danger, une simple discussion suffit généralement. En effet, une conséquence a plus d’impact lorsque l’autre a été prévenu, que des comportements alternatifs ont été proposés, mais qu’il a fait le choix conscient de s’y confronter. Autremment, si elle tombe sans avertissement, elle peut être ressentie comme injuste. Car, encore une fois : chacun fait de son mieux avec ce qu’il a comme ressources à disposition. Si les ressources n’ont pas été construites, si les comportements alternatifs n’ont pas été réfléchis, l’identité n’avait alors aucun moyen de réagir différemment !

Certains systèmes définissent également des mots ou des phrases qui servent de codes pour indiquer qu’une limite est sur le point d’être franchit. Cela permet à l’identité qui s’emporte d’avoir l’occasion de s’arrêter à temps et de réfléchir à son comportement. Cela permet aussi de construire la notion de responsabilité partagée, que nous verrons dans l’article suivant, et de faire en sorte que tout le système veille à ce que son comportement global reste adapté. Néanmoins, c’est une compétence qui demande beaucoup de ressources et peut être longue à mettre en place.

Les limites et les besoins

Comme nous l’avons déjà dit, les identités n’agissent pas sans raison. Vous pourriez ne pas comprendre cette raison, ne pas la trouver suffisante ou la trouver étrange, mais à leurs yeux, cette raison est importante et valide. Elle traduit un besoin. Or, si on peut ne pas tolérer l’acte (parce qu’il est violent, dangereux, inadapté), il faut absolument découvrir et prendre en compte le besoin qu’il exprime. C’est également pour cela que faire des compromis est nécessaire : si vous imposez vos propres règles, vous ne prenez en compte que vos besoins à vous et négligez ceux de vos autres identités. Ce n’est pas un mode de fonctionnement qui permettra la coopération. Ça ne fera qu’augmenter la dissociation et les risques de conflits.

Par exemple, certaines identités peuvent avoir un comportement très violent verbalement lorsqu’elles sont déclenchées. On sera tous d’accord pour dire que la violence verbale est hors-limite, mais comment gérer une telle situation ? En premier lieu, on pourrait être tenté de vouloir réprimer ces identités, les empêcher de venir au contrôle et les faire taire, mais ça ne serait pas prendre en compte le besoin fondamental qui est exprimé par ce comportement : celui de se protéger, de se sentir en sécurité.

Une fois ce besoin découvert et reconnu, il est possible de chercher et trouver des alternatives au comportement violent. Par exemple, l’identité déclenchée pourrait avertir une autre identité, capable de rester calme et en qui elle a confiance, lorsqu’elle pense que la situation présente un risque. Les deux identités pourraient ensuite réfléchir ensemble à comment gérer la situation pour que tout le monde se sente protégé. Ainsi, l’identité déclenchée n’est pas réduite au silence, son besoin est pris en compte, mais elle ne se comporte plus de manière violente.

Il y aura évidemment des ratés, des moments où les déclencheurs seront plus fort que la bonne volonté de chacun, des moments où le stress trop intense vous renverra à des moyens de défense moins adaptés. C’est normal. Ça n’annule pas vos progrès. Ils seront toujours là une fois la tempête calmée et vous pourrez travailler sur la construction de nouvelles ressources afin de mieux gérer les prochaines tempêtes.

Il est également possible que ces comportements généralement inadaptés soient, dans certains cas, la seule solution qu’il vous reste. Le caractère adapté/inadapté d’un comportement dépend surtout de son contexte ! N’oubliez pas de le prendre en compte et d’y réfléchir.

Enfin, malheureusement, les limites ne suffisent pas toujours à structurer votre système. Il arrive que les comportements de certaines identités puissent objectivement vous mettre beaucoup trop en danger physiquement ou légalement pour que vous soyez capable de les gérer seul. Le cas de ces identités doit impérativement être abordé en thérapie, afin que vous et votre thérapeute puissiez trouver une solution qui soit le meilleur compromis possible entre votre sécurité et les besoins de ces identités.

Conclusion

Poser les limites du système permet à chacun de savoir à quoi s’attendre. Cela permet aussi de définir un concept important : ce n’est pas l’identité, le problème, ni les besoins qu’elle exprime. Le seul et unique problème, ce sont les comportements mis en place pour combler ces besoins.

Ces comportements, qui vous ont sauvé la vie quand vous étiez plus jeune, ne sont désormais plus aussi adaptés qu’avant à votre vie présente ; ceci dit, les besoins exprimés par vos identités sont toujours d’actualité ! Définir ensemble des limites claires et des conséquences adaptées sera la base qui vous permettra de combler ces besoins, en travaillant ensemble pour mettre en place de nouveaux comportements.

Si votre entourage est bienveillant et peut aider, ça peut être un plus : thérapeute, famille, amis, n’hésitez pas à les solliciter – si votre système est d’accord !

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