Résumé « Le défi d’être présent avec soi-même »

Auteurs : Ylva Øyehaug Opsvik, Ingunn Holbæk, Kjersti Arefjord & Aslak Hjeltnes

Référence : Opsvik, Y. Y., Holbæk, I., Arefjord, K. & Hjeltnes, A. (2022). The challenge of being present with yourself : Exploring the lived experience of individuals with complex dissociative disorders. European Journal of Trauma & ; Dissociation, 6(2), 100250. https://doi.org/10.1016/j.ejtd.2021.100250

Introduction

Les auteurs débutent leur article en définissant la dissociation comme un dysfonctionnement de l’intégration de différents processus psychiques et cognitifs (mémoire, perceptions, émotions, comportements, etc.). A l’inverse, ils définissent le fait « d’être présent » comme la capacité à être conscient et ouvert au moment présent, sans jugement (synonyme de pleine conscience).

Les auteurs abordent ensuite la question de la controverse qui entoure les troubles dissociatifs complexes (TDC), notamment les débats autour de leur étiologie, ainsi que les changements apportés à leur dénomination dans les manuels de diagnostic. Ils expliquent que ces changements ont été faits pour rendre compte des expériences scientifiques et cliniques rapportées ces vingt dernières années.

Les auteurs continuent au sujet de la pleine conscience, en mettant en avant que certaines techniques sont souvent utilisées dans le traitement des TDC. Elles peuvent avoir un impact bénéfique sur les symptômes, mais il ne faut pas perdre de vue que la recherche à ce sujet est encore peu fournie et que les populations de patients avec TDC sont particulièrement sensibles. Il est donc important d’être précautionneux avec les techniques thérapeutiques qu’on souhaite utiliser.

Suite au constat qu’il n’existe que peu d’études qualitatives aux sujets des patients avec TDC, les auteurs ont souhaité en développer une sur les manifestations des TDC et les défis rencontrés par les patients, en se centrant particulièrement sur leurs perceptions autour de leur capacité à « être présents » dans leur vie quotidienne.

Méthodes

L’étude s’est déroulée dans une clinique norvégienne spécialisée dans le traitement du psychotraumatisme. Elle se base sur des données récoltées 6 mois après que les patients aient traversé une première phase de stabilisation. Ces données ont ensuite été traitées avec une analyse thématique selon une approche phénoménologique herméneutique, ainsi qu’avec le logiciel NVIVO.

Les participants sont au nombre de 16, avec un diagnostic de TDC (TDI ou ATDS). Tous ont suivi une série de cours de psychoéducation et de gestion des symptômes basée sur l’ouvrage « Gérer la dissociation d’origine traumatique ». Les caractéristiques du groupe sont les suivantes :

  • 14 femmes, 2 hommes
  • âge moyen de 33 ans
  • 9 sont en couple ou mariés
  • 7 sont en arrêt maladie ou dépendent de l’aide sociale, 5 travaillent à temps plein ou partiel, 1 est étudiant
  • en moyenne, 4 types de violences différentes ont pu être mises en évidence dans le passé de ces patients.

Le questionnaire s’est fait sous la forme d’un entretien semi-structuré. L’analyse des données s’est faite en plusieurs étapes, afin de s’assurer de leur pertinence et de leur représentativité.

Résultats

À travers l’analyse des discours des patients, quatre thèmes ont pu être mis en évidence par les auteurs.

Être présent, ici et maintenant, et s’en rappeler : de manière générale, les patients ont décrit leur capacité à être présent comme fragile et imprévisible. Ils l’ont aussi décrite « échelonnée », comme si plusieurs parts étaient présentes en même temps, ou comme s’il y avait une différence entre « être présent mentalement » et « être présent physiquement ». Certains évoquent ainsi la possibilité d’être présent physiquement, mais absent mentalement. La conscience du corps et du mental semblent donc être des éléments importants dans le concept « d’être présent ».

Il apparaîtrait également que cette capacité à être présent soit impactée par différents facteurs, notamment l’état émotionnel. Certains participants ont du mal à se sentir présents à cause de leur sentiment d’insécurité et de leur état d’hypervigilance. La majorité d’entre eux ont la sensation que cette aptitude à être présent peut s’effriter à tout instant. Cette majorité a aussi du mal à estimer ou à prévoir si elle sera en capacité d’être présente ou non selon les situations.

Un autre élément mit en évidence est que même lorsque le sentiment d’être présent est là, les participants peuvent rencontrer des difficultés à rester présent. À partir des précisions et descriptions de ces expériences fournies par les participants, les auteurs ont fait le lien avec la possibilité qu’être présent implique de ressentir plus de choses que la normale pour ces participants ; ainsi, ils oscillent entre l’envie d’être ancrés et la peur des ressentis trop intenses. Les auteurs avancent l’idée d’une balance coûts/bénéfices entre la capacité à être présent et les peurs qui en découlent.

Ne pas être présent, le défi de la vie interne : les participants conceptualisent le fait de « ne pas être présents » comme une manière d’éviter certains ressentis, mais aussi un fonctionnement au quotidien. Néanmoins, « ne pas être présent » est aussi source d’expériences effrayantes, telles que : l’impression de disparition, d’être coincé, paralysé, l’amnésie, la sensation que la tête est vide, des ressentis de déréalisation ou de dépersonnalisation, etc.

Les participants décrivent ces expériences comme terrifiantes et souvent accompagnées par diverses peurs : peur qu’elles recommencent, peur de perdre le contrôle, etc. Malgré tout, une partie d’entre eux voit ces instants au cours desquels ils ne sont pas présents comme une manière de pouvoir continuer à agir sans s’arrêter sur ce qui est vécu et ressenti lors de situations difficiles.

Ainsi, les participants semblent pris dans un dilemme insolvable : éviter les ressentis trop intenses du présent, tout en ne voulant pas être confrontés aux ressentis terrifiants qui sont les leurs lorsqu’ils ne sont pas présents. Tenter de trouver un équilibre au cœur de ce conflit implique, pour la majorité d’entre eux, de fuir tout ce qui pourrait déclencher une quelconque réaction. Le fait de cacher cette lutte interne aux personnes extérieures est également un point commun entre les participants.

Être présent de manière divisée : tous les participants ont décrit une forme de division interne. Dans cet article, les auteurs ont choisi le terme de « parts dissociées » pour décrire ce phénomène ; les participants ont pu évoquer le fait que certaines de leurs parts ne savaient pas faire la différence entre le passé et le présent.

Il apparaîtrait donc que les différentes parts vivent le présent chacune à leur manière. Certaines sont « coincées » dans le passé, d’autres sont hors de toute notion de temporalité. Certaines parts peuvent « être présentes » au même moment, tandis que d’autres peuvent n’avoir aucune conscience de ce présent.

Gérer les conséquences des absences : les conséquences les plus handicapantes décrites par les participants sont les pertes de mémoire : ne pas reconnaître leur entourage, ne pas se rappeler s’ils ont mangé, prit leurs médicaments, etc. Certains participants sont dans l’incapacité de travailler à cause de cela, d’autres compensent en prenant des notes sur tout ce qu’ils font.

La seconde conséquence la plus handicapante est la difficulté à maintenir une certaine cohérence émotionnelle et comportementale dans leurs relations. Certains rapportent trouver soudainement étrange le fait d’être parent, de ne pas se souvenir où leur partenaire habite, de ne pas se rappeler des premiers mois de vie de leurs enfants ou d’évènements comme leur propre mariage.

Conclusion

À travers les thèmes abordés, nous avons pu voir que les participants désirent et redoutent le fait d’être présent. Ils finissent par ne l’être qu’en partie, ce qui semble participer au sens de l’identité dissocié. Cela a également des conséquences importantes sur leur vie familiale, professionnelle, amicale, ainsi que sur la manière dont ils perçoivent cette vie.

Les difficultés à être présent mentalement et physiquement paraissent liées aux niveaux d’énergie et aux capacités de fonctionnement au quotidien. Elles trouvent leurs origines dans la lutte entre le désir d’être présent et la fonction de survie qu’a le détachement. Cela aboutit à une forme de « présence dans l’absence », autrement dit à la conscience d’être déconnecté de son environnement ou de soi-même. Les participants ont aussi pu décrire différents niveaux de présence selon les différentes parts d’eux-mêmes impliquées.

De fait, la capacité à être présent semble avoir un lien avec le sens de soi. Plus les parts d’une personne sont capables de fonctionner de manière intégrée, plus la personne en tant que « Tout » pourra être présente. À l’inverse, la dissociation et la difficulté à être présent augmentent le sentiment de fragmentation. Cela pointe l’importance de l’ancrage et des techniques de pleine conscience en thérapie.

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