Le dé-mélange – Introduction et définitions

Notes : Cet article fait partie d’une série.

Il s’adresse à toutes les personnes qui ont vécu des traumatismes. Afin qu’il soit aussi inclusif que possible, nous avons fait le choix d’utiliser le terme de « parts dissociées », qui désigne aussi bien les parts peu différenciées et élaborées des troubles dissociatifs « simples », que les identités alternantes des troubles dissociatifs complexes. Le terme de « part en détresse » désigne toutes les parts qui réagissent de manière intense suite aux traumatismes vécus par le passé. Cela peut être autant une part enfant qu’une part protectrice adulte.

Cet article vulgarise des notions de psychologie et n’a pas pour vocation de se substituer à l’aide d’un professionnel de santé mentale.

Introduction

Le terme de « mélange » a surtout été employé par Richard Schwartz, pour sa théorie du Système Familial Intérieur (Internal Family System, IFS). Il a ensuite été repris par Janina Fisher, dans son livre « Dépasser la Dissociation d’Origine Traumatique », puis par les chercheurs et cliniciens qui se sont inspirés de leurs approches pour créer leurs propres modèles. C’est le livre de Janina Fisher qui nous a servi de base dans la rédaction de cette série d’articles.

Le mélange est un phénomène très commun dans les troubles dissociatifs et les troubles d’origine traumatique. Il se produit généralement entre la part qui gère le quotidien et les autres parts dissociées. Il est à l’origine de beaucoup de problèmes de fonctionnement et entretient les symptômes traumatiques et dissociatifs. Ainsi, le dé-mélange est un des apprentissages les plus importants à faire lorsqu’on a vécu des traumatismes complexes.

Le dé-mélange permet de développer et de renforcer des compétences telles que la bienveillance, la curiosité, la patience ou encore la compassion. Cela en fait un outil capital dans la prise en charge des différentes parts dissociées qui peuvent composer une personne traumatisée. Ses différents concepts peuvent aussi se révéler utiles pour les gens qui ont des difficultés avec la gestion de leurs émotions.

Définitions et concepts

Les parts dissociées
Dans la théorie autour du dé-mélange, le terme de « part dissociée » fait référence à un état mental et physique particulier. La base qui forme une part dissociée est une association d’émotions, de ressentis et de sensations physiques qui n’ont pas été apaisés, qui se sont retrouvés « figés » dans le temps. A cet état psychologique et biologique vont se rattacher des souvenirs, des croyances, des apprentissages, des compétences particulières, des mécanismes de survie, etc.

Une part dissociée peut donc autant être une part très restreinte, par exemple qui détient de la peur et l’impulsion de fuir, qu’une part très complexe, qui gère la vie au travail et la vie sociale avec une minutie extrême, par crainte du jugement des autres.

Comme l’état de stress intense n’a jamais été apaisé, la part dissociée n’a pas la sensation d’avoir réussi à échapper à la situation traumatique. A chaque fois qu’elle approche de la conscience, qu’elle « remonte à la surface », elle va réactiver le corps et l’esprit de la même manière qu’au moment du trauma. Les émotions, les sensations, les croyances, les hormones produites, etc. tout cela va revenir avec la même intensité que par le passé. Cette réactivation du corps et de l’esprit peut se traduire par un état d’alerte (hypervigilance, anxiété, panique, colère, etc.) ou un état dissociatif (sentiment de pilote automatique, impression d’anesthésie des émotions, sentiment d’évoluer « dans un rêve », etc.).

La part en charge du quotidien
Dans cet article, le terme de « part en charge du quotidien » désigne avant tout une ou plusieurs parts qui détiennent des ressources, des comportements, des capacités en lien avec la vie quotidienne non traumatique. Certains cliniciens appellent aussi cet ensemble de ressources « le Self » (le Soi, en anglais), « la part adulte sage » ou encore « la part du présent ».

Les ressources principales contenues dans le Self sont : la capacité à rester ancré dans l’ici-et-maintenant, à rester conscient des liens entre présent, passé et futur, sans se retrouver submergé, la capacité à se montrer curieux envers le reste du monde, à être bienveillant et patient à l’égard des autres, à offrir du réconfort, etc.

Les zones du cerveau qui gèrent les ressources du Self se développent pendant l’enfance et l’adolescence. Leur utilisation n’est donc pas innée et nous avons besoin d’aide, de modèles, de guides pour nous apprendre à accéder et à faire fonctionner ces zones du cerveau – c’est le rôle notamment des figures d’attachement.

Dans le cas des gens qui ont été maltraités, l’accès à ces ressources a généralement été peu, voire pas du tout, travaillé. C’est là que le dé-mélange et la thérapie interviennent : ils permettent de construire un chemin vers ces zones du cerveau qui ont été laissées de côté jusqu’à présent.

Ainsi, le terme de « part en charge du quotidien » désigne une ou plusieurs parts capables de se connecter aux ressources du Self. Elles sont capables de rester ancrée dans le présent, de prendre une attitude ouverte, curieuse, bienveillante vis-à-vis du monde et des autres parts. Pour des raisons biologiques, n’importe quelle personne adulte a forcément au moins une part capable d’avoir accès ne serait-ce qu’un tout petit peu à son Self. Cet accès peut néanmoins être très ténu et très difficile à remarquer – mais il existe.

Très souvent, la part capable de se connecter au Self est généralement celle qui gère la majeure partie de la vie quotidienne (qu’on nomme aussi la part « hôte »). Il est possible qu’elle ait besoin d’entraînement et d’aide pour maîtriser certaines compétences, qu’elle ait besoin de psychoéducation pour affiner son instinct et mieux adapter son comportement, mais c’est souvent elle qui va spontanément chercher à adopter les bonnes attitudes et qui essaiera d’avoir les bons réflexes.

Cela ne veut pas dire qu’elle est forcément facile à repérer. En effet, comme les ressentis des parts en détresse peuvent être très puissants, la part capable de se connecter au Self pourrait avoir l’impression de ne pas être suffisamment solide, réelle ou présente. Sa capacité à se connecter au Self pourrait ne s’exprimer que dans un seul domaine très restreint de sa vie : s’occuper des enfants, avoir une activité bénévole, pratiquer un loisir ou juste désirer avoir une vie « normale ». Le reste sera géré par les parts dissociées à travers le mélange ou, dans le cas des troubles dissociatifs complexes, les changements d’identités.

Le Self et les troubles dissociatifs complexes
Dans le cas des TD complexes, les ressources du Self peuvent être complètement éparpillées entre plusieurs parts distinctes. Ce groupe d’identités devra apprendre à coopérer pour pouvoir s’occuper de la totalité du système.

Une autre particularité des TD complexes est que les identités alternantes peuvent elles-mêmes être composées de plusieurs parts. Ces « sous-systèmes » peuvent partager un sens de l’identité très similaire, au point que faire la différence entre une part et une autre est très compliqué. Il est donc possible que les identités qui détiennent des compétences du quotidien aient leur propre « constellation » de parts en détresse qui se mélangent énormément avec elles, en plus des mélanges qu’elles vivent avec les autres identités plus différenciées. Dans un tel cas, chaque identité composée de plusieurs parts devra également apprendre à « se décortiquer » elle-même.

Par exemple, une identité alternante qui a pour rôle de prendre soin des identités enfants pourrait, par instant, vivre des épisodes dépressifs ou colériques intenses. De tels épisodes faisant intrusion dans son fonctionnement habituel indiquent la présence d’au moins deux parts chez cette identité : une qui gère le quotidien normal interne, en s’occupant des identités enfants, et une qui détient des comportements et ressentis dépressifs. Ainsi, celle qui gère les identités enfants devra également apprendre à s’occuper de sa part dépressive, ou demander l’aide d’une autre identité qui détient les ressources adéquates.

Le mélange
Le terme « mélange » fait référence à l’influence que peut avoir une autre part sur la part en charge du quotidien, au point que la part en charge du quotidien a l’impression que tout ce qui la submerge (les émotions, les ressentis de détresse, les impulsions, les comportements, etc.) provient directement d’elle-même.

La part en charge du quotidien qui vit un mélange va perdre le contact avec les ressources du Self, et s’identifier complètement aux croyances et aux ressentis de l’autre part. C’est ainsi qu’elle pourra dire « je suis terrifiée », « je suis anxieuse » ou « je ne mérite rien de bien », alors que tout était normal la seconde d’avant. Cela peut également affecter sa perception de l’environnement, avec des sentiments soudains de danger, d’être menacée, que son entourage va l’abandonner, etc.

Le mélange se produit généralement à cause d’un déclencheur. Dans le cas d’un déclencheur externe, cela peut être un évènement précis ou bien un contexte particulier. Dans le cas d’un déclencheur interne, cela peut être une émotion, une pensée ou un comportement produit par la part en charge du quotidien. Le déclencheur va activer une autre part en parallèle de celle déjà au contrôle. Les barrières dissociatives vont être brouillées et les éléments que contient chaque part vont être mélangés. Le passé figé par la part en détresse et le présent que tente de gérer la part en charge du quotidien vont se chevaucher, sans limite claire entre les deux.

Plus la part en charge du quotidien va avoir l’habitude de subir des mélanges avec les autres parts, plus elle aura l’impression qu’elle « n’a pas le choix » de son comportement, que c’est « plus fort qu’elle », qu’elle « est obligée » de faire comme ça, même lorsqu’elle a conscience que ce comportement n’est pas adapté.

Lorsque les parts protectrices se mélangent facilement avec la part en charge du quotidien, il est possible qu’elles cherchent à se protéger des mélanges supplémentaires avec les autres parts en détresse. Cela passe notamment par le fait d’ignorer ou de fuir les émotions provenant des autres parts, de les rationaliser, de se sentir irrité par les réactions des autres parts, de les critiquer, etc. Tout cela va amplifier la tension au sein du système. La part en charge du quotidien pourrait finir par avoir l’impression d’être au bord de l’explosion, toujours sur la brèche, à deux doigts de perdre le contrôle ou de devenir folle.

Dans les troubles dissociatifs complexes, le mélange est une forme d’influence passive, il n’y a donc pas de changement complet d’identité au contrôle. En revanche, l’intensité du mélange et des émotions ressenties peut affecter la qualité des souvenirs qui vont être formés. Cela peut provoquer des amnésies partielles, des oublis de certains aspects de l’évènement, des difficultés à remettre les souvenirs dans l’ordre, etc.

Le dé-mélange
Le dé-mélange consiste à séparer les éléments propres à chaque part, sans les nier, les repousser ou s’en dissocier, afin de pouvoir les ranger correctement. Il participe à l’ancrage dans le présent, à la construction du sentiment de sécurité, au développement de la communication et de la coopération entre les parts, ainsi qu’à l’apaisement des souvenirs traumatiques.

La capacité à pratiquer le dé-mélange vient principalement de la part (ou des parts) capable de se connecter aux ressources du Self ; de la part capable de faire preuve de curiosité, de compassion, de bienveillance, de patience, etc.

Le dé-mélange permet également de retrouver un sentiment de contrôle de sa propre vie, que ce soit pour la part en charge du quotidien ou pour les parts en détresse. En effet, les stratégies des parts en détresse n’étant pas correctement ancrées dans le présent, elles sont rarement efficaces. Lorsque le dé-mélange est maîtrisé et que le dialogue s’installe entre toutes les parts, il devient possible de trouver un juste milieu plus adapté à la situation, qui va permettre à tout le monde de se sentir en sécurité.

Conclusion

Le mélange se produit entre la part en charge du quotidien et les autres parts dissociées en détresse. Une part en détresse qui se mélange avec la part en charge du quotidien va l’envahir jusqu’à brouiller les limites entre elles. La part en charge du quotidien aura de grandes difficultés à rester connectée à ses ressources internes comme la compassion, la bienveillance, la capacité à rester ancrée dans le présent, etc. La plupart des théories conceptualisant le mélange appellent l’ensemble de ces ressources « le Self ».

Le mélange est l’élément de base du cercle vicieux entre la dissociation et les symptômes post-traumatiques. Le mélange est une conséquence de la dissociation et il participe au maintien des symptômes post-traumatiques. Le cerveau va augmenter les niveaux de dissociation pour tenter de gérer les symptômes post-traumatiques, ce qui va mener à des mélanges de plus en plus fréquents, intenses et/ou déroutants, donc à plus de symptômes post-traumatiques. Certaines personnes finissent ainsi presque totalement coupées de leurs ressources internes et sont quasiment toujours en situation de mélange.

Le dé-mélange est un ensemble de techniques qui vise à « ranger » correctement les éléments dissociés lorsque deux parts se chevauchent. Cela permet à la part en charge du quotidien de rétablir son lien avec son Self et d’avoir la possibilité d’apaiser la part en détresse. De cette manière, la stabilité de l’ensemble du système de parts dissociées est restaurée.

Bibliographie

Fisher, J. (2019). Dépasser la dissociation d’origine traumatique. DE BOECK SUP.

2 commentaires sur « Le dé-mélange – Introduction et définitions »

Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer