Généralités sur les techniques d’ancrages

Note : Cet article est l’intrudction d’une série sur les techniques d’ancrage. La bibiographie de cette série se trouve à la fin de cet article.

Le principe de base des techniques d’ancrage est d’engager l’esprit dans des stimuli ou comportements non-destructifs, afin de ramener la conscience dans l’ici-et-maintenant. Elles sont souvent utilisées pour lutter contre la dissociation, mais aussi pour réguler les émotions trop intenses, les reviviscences traumatiques, les impulsions et compulsions des troubles du comportements alimentaires, des addictions, des TOC. Il est aussi possible de les utiliser pour améliorer la capacité de concentration et, ainsi, être au top de ses compétences lors d’une réunion importante, d’un examen, etc.

Les techniques d’ancrage sont différentes des techniques d’intégration des traumas. Dans l’intégration des traumas, il est demandé d’entrer en contact avec les émotions et souvenirs douloureux du passé, tandis que l’ancrage permet de ramener l’esprit au contact du moment présent, de manière à ce qu’il ne soit ni dissocié, ni submergé par ses émotions. Ainsi, la capacité à rester ancrée doit être nécessairement maîtrisée avant de pouvoir passer au traitement des traumas, pour éviter les flashbacks et la re-traumatisation.

La majorité des techniques d’ancrage sont discrètes, au point qu’un observateur extérieur ne parvienne pas à savoir que la personne est en crise et en train de gérer sa crise avec de l’ancrage. D’autres peuvent faire appel à une application sur le téléphone. Plus rarement, elles peuvent demander à effectuer des mouvements spécifiques ou manipuler certains objets.

Il est nécessaire d’adapter la technique d’ancrage à la situation et à la personne. D’une personne à l’autre, d’une situation à l’autre, ce sont des techniques différentes ou des familles de techniques différentes qui devront être utilisées. Il est nécessaire d’avoir de très nombreux exercices d’ancrage à sa disposition et de les essayer régulièrement dans des contextes différents, afin de mieux comprendre ce qui fonctionne à un moment donné. De plus, les techniques d’ancrage doivent impérativement testées en amont, quand ça va bien. Si on ne les utilise qu’en temps de crise, le cerveau va finir par les associer à la crise et au fait d’aller mal, ce qui diminue ou annule leur efficacité.

Ce peut aussi être une bonne idée d’anticiper les situations que l’on sait être difficiles et pratiquer l’ancrage avant, pendant et après, pour limiter l’intensité des crises ou les empêcher. Néanmoins, quitter la situation problématique reste la meilleure solution pour se garder en sécurité – qu’il s’agisse de sortir de la pièce, changer son environnement quotidien, s’isoler temporairement, etc.

Dans certaines situations, une aide extérieure peut être nécessaire pour s’ancrer : un objet pour se rappeler d’effectuer ses exercices d’ancrage, un rappel sur le téléphone, une personne de confiance qui va nous aider à nous réorienter quand nous ne sommes pas en mesure de le faire par nous-même, etc.

Revenir vers l’ici et maintenant pour sortir d’une reviviscence traumatique

La théorie polyvagale est une grille de lecture utile pour comprendre comment s’extirper d’une crise dissociative. D’après cette théorie, il faut commencer par sortir le système nerveux du mode « urgence et survie » en engageant le mode « sécurité ». Ce mode « sécurité » est remis en route lorsqu’on parvient à se connecter avec l’ici et maintenant. Cela permet de sortir de l’état dissociatif, de cesser d’être submergé par les émotions douloureuses, de sortir d’un flashback traumatique. Une fois le système nerveux apaisé, on peut commencer à se réconforter ou être réconforté.

Être au contact de l’ici et maintenant implique d’être orienté dans l’espace, dans le temps et vers le corps physique. C’est en cela que consiste l’ancrage : s’orienter et s’ancrer vers le présent et le monde physique.

Il est absolument nécessaire d’être pleinement au contact de l’ici et maintenant afin de ressentir la sécurité, de se sentir en sécurité. Une fois que cette sécurité est ressentie et construite dans l’ici et maintenant, toutes les parts peuvent s’y connecter ce qui les fait sortir de la détresse causée par les souvenirs d’ailleurs et avant.

Se connecter à la sécurité d’ici et maintenant est une condition vitale pour guérir les blessures d’ailleurs et avant. Cela peut prendre beaucoup de temps et des efforts quotidiens pour construire cette sensation de sécurité ici et maintenant, pour orienter toutes ses parts vers cette sécurité afin qu’elles s’y connectent. Mais c’est un effort qui en vaut la peine. Une fois toutes les parts au contact de la sécurité, de l’ici et maintenant, elles peuvent abandonner la position de survie et le sentiment de danger. Elles peuvent guérir de leurs blessures.

De nombreux outils peuvent aider pour cela. N’hésitez pas à consulter les sources dans la bibliographie pour avoir la version détaillée et « pas à pas » de ces outils, en particulier « Gérer la dissociation d’origine traumatique ». L’un des outils les plus importants pour construire cette sécurité est le développement de lieux internes sécures dont toutes les parts puissent bénéficier. Pour les mettre en place, il suffit de les visualiser mentalement, avec ou sans support visuel ou enregistrement audio (guide de visualisation). Ainsi, les parts en détresse peuvent se réfugier dans ces lieux internes sécures pour éviter le contact avec des situations externes potentiellement traumatiques ou trigger. Une autre possibilité est la visualisation d’un équipement magique de protection permettant de maintenir les parts vulnérables à l’abri de leurs déclencheurs.

Attention à bien vous entraîner d’abord durant des moments où vous êtes physiquement en sécurité : on apprend beaucoup mieux à faire ce genre d’exercice mental lorsqu’on est au calme que lorsqu’on est au milieu d’une crise. C’est un peu comme le principe d’un entraînement pour les pompiers. D’abord ils s’entraînent à réaliser les gestes au calme, puis dans des situations de plus en plus complexes – ce n’est qu’à la fin de leur formation qu’ils sont envoyés sur le terrain pour gérer des crises.

Revenir dans sa fenêtre de tolérance

Notions de base

La fenêtre de tolérance est l’intensité de stimuli qu’une personne peut se permettre sans ressentir de détresse. Respecter et élargir cette fenêtre de tolérance est très importante afin de réguler ses émotions et, à terme, guérir ses traumatismes.

Cette fenêtre a des limites hautes et basses : on peut ressentir de la détresse quand on ressent trop de choses, mais aussi quand on n’en ressent pas assez. Trop de choses causent de la détresse, pas assez causent de l’ennui et une perte d’intérêt. Lorsqu’on reste dans sa fenêtre de tolérance, on peut s’engager dans des comportements régulés. Cette fenêtre est valable pour tous les domaines de la vie : émotions, stimulations sensorielles, activité mentale, etc.

Il est vraiment important d’avoir la fenêtre la plus large possible. En effet, lorsque la limite supérieure est trop basse (trop de sensibilité) l’existence devient douloureuse dans toutes les expériences de la vie. C’est le principe de la surcharge sensorielle autistique, par exemple. C’est la raison principale pour laquelle les autistes développent des troubles dissociatifs sur simple fait d’être autistes et la raison pour laquelle l’intégration sensorielle par ergothérapie active permet de réduire drastiquement les effets néfastes de cette sensibilité, en élargissant progressivement la fenêtre de tolérance au rythme du patient.

Notez que les exercices d’intégration sensorielle ne sont pas réservés aux personnes avec un diagnostic d’autisme : toute personne qui présente des sensibilités sensorielles peut en bénéficier, quelle que soit l’origine de ces sensibilités. C’est encore plus vrai lorsque cette sensibilité est d’origine traumatique.

L’effet inverse est lorsque la limite inférieure est trop haute : la personne manque de sensibilité, elle vit de manière anesthésiée. C’est le principe des hyposensibilités que vivent certaines personnes autistes. Par exemple, l’auteur de cet article a un seuil de sensibilité à la douleur qui est beaucoup trop haut, il ne perçoit pas certaines douleurs ce qui met parfois sa santé en danger puisqu’il ne perçoit pas certaines blessures. Inversement, une hyposensibilité émotionnelle fait que certaines personnes vont prendre des risques insensés afin de ressentir enfin des émotions assez intenses pour être perçues et se sentir bien. Là encore c’est quelque chose de dangereux : cela entraîne une tendance à prendre des risques, à avoir des comportements non contrôlés, dans le seul but de pouvoir enfin ressentir une émotion. Par exemple : conduire son véhicule en dépassant les limites de vitesse et en grillant les feux rouges, multiplier les partenaires sexuels sans protection, abus de substances…

Qu’il s’agisse d’hyper ou d’hypo sensibilité, dans les deux cas le cerveau a des difficultés pour réguler le niveau d’activation physiologique c’est-à-dire la manière dont la personne réagit à une situation ou un stimuli.

Notons que la fenêtre de tolérance ne touche pas seulement l’intensité d’un stimuli mais aussi sa quantité ou sa complexité. Une personne peut être submergée dès qu’elle ressent plus de deux émotions en même temps, par exemple. Si une situation est assez complexe pour lui faire ressentir plusieurs choses différentes, la personne sort de sa fenêtre de tolérance et ne parvient plus à se réguler correctement.

Il est peut-être nécessaire de le rappeler en toutes lettres : la fenêtre de tolérance est différente pour chaque personne. Ainsi, pour chaque personne, ce qui va être perçu comme « acceptable » ou « tolérable » sera différent. Il est important de ne jamais critiquer quelqu’un qui ne supporte pas quelque chose que vous, vous supportez : si ça se trouve, pour d’autres choses, vos fenêtres de tolérances sont inversées et c’est vous qui êtes « trop sensible » !

Élargir sa fenêtre de tolérance

La bonne nouvelle est que tout le monde peut apprendre à élargir sa fenêtre de tolérance, à condition de s’y prendre de la bonne manière. Il est nécessaire de rester dans la zone du tolérable et d’apprendre progressivement à rendre ce tolérable, supportable, à force d’habituation. Si on sort de cette zone tolérable, la personne ainsi submergée va enclencher une anesthésie par dissociation, ce qui est l’inverse de l’effet recherché. En effet, quand on est submergé, on ne peut pas apprendre à se réguler, voire on développe des traumatismes supplémentaires dans les cas les plus extrêmes. Il est fondamental de rester au sein de la fenêtre de tolérance pour apprendre à l’élargir et à se réguler.

Dans les situations normales, la régulation est apprise à travers le comportement des donneurs de soins (le plus souvent, les parents). Chaque fois qu’un donneur ou une donneuse de soins rassure, console, aide, soigne, apaise ou protège, le petit enfant apprend à se réguler. Il apprend au passage à demander de l’aide, qui est une autre compétence très utile à l’adulte. Dans les situations où le petit enfant est resté dans sa détresse, submergé par ses émotions, il est incapable d’apprendre le recul face à ses émotions. L’apprentissage de l’auto-régulation est entravé et, devenu adulte, il reste incapable de s’auto-réguler. À la place, une fois adulte, il réagit par des comportements d’évitement des émotions, de dissociation, de phobie du vécu interne, voire de la négation pure et simple de ses ressentis. Cela maintient l’entrave de l’apprentissage de la régulation des émotions. Pire encore, cela empêche de ressentir les choses agréables de la vie.

La solution à cet épineux problème est d’apprendre à élargir sa fenêtre de tolérance. Ce travail se fait sur deux plans. Le premier est le degré d’ouverture et le second est la durée d’ouverture. Cela permet d’apprendre à ressentir des émotions plus intenses (degré d’ouverture) pendant des laps de temps plus long (durée d’ouverture) sans « partir en vrille » en étant submergé. Pour cela, porter son attention sur ses émotions sans jugement et sans se laisser déborder ni les étouffer permet d’augmenter sa fenêtre de tolérance. Les techniques d’ancrage sont nécessaires pour faire cet exercice.

Les techniques d’ancrage et la fenêtre de tolérance

Les techniques d’ancrage à mettre en œuvre dépendent du côté par lequel la fenêtre de tolérance est dépassée.

En cas de sur-activation, la personne « part en vrille » au moindre désagrément. Les ancrages à apporter sont de l’ordre de la distraction, « ranger » temporairement l’émotion dans une boîte (ou un texte, une représentation artistique…) jusqu’à être dans un moment et un lieu où c’est ok de la ressentir, se dire à soi-même et à ses parts des paroles réconfortantes.

En cas de sous-activation, la personne ne ressent rien même lorsque le monde s’effondre autour d’elle. Les ancrages à apporter sont de l’ordre des stimulations sensorielles, demander aux parts anesthésiées ce dont elles ont besoin.

Dans les deux cas, la technique de l’augmentation progressive de l’intensité de l’émotion peut être utile. Elle peut être résumée comme suit. Se connecter « à 1% » à l’émotion, soit directement, soit en demandant à une part de la partager. Augmenter progressivement, 2%, 3%… en restant dans la zone de ce qu’il est possible de supporter. Il est important de ne pas dépasser la quantité (en intensité et en temps) de ce qu’il est possible de supporter. Dès que ça devient possible avec les répétitions et l’habitude, augmenter un tout petit peu la dose

Rassembler ses ressources mentales

Les ressources mentales sont toutes les ressources en matière de réflexion et capacité de concentration qu’on utilise pour organiser, maintenir et conclure une action. Elles permettent un comportement réfléchi et adapté. Pour cela, il est également nécessaire d’avoir conscience du présent, de toutes ses parts et des personnes autour. En effet, si on n’est pas connecté à l’ici et maintenant, on ne peut pas réfléchir à ce qui est en train de se passer. C’est pour cela que l’ancrage est nécessaire afin d’utiliser au mieux la totalité de ses ressources mentales.

Il est également nécessaire de prendre conscience de son expérience interne sans jugement et sans se laisser submerger. Le non jugement s’applique à la fois à ce qu’on ressent, mais aussi à ce que l’on ne ressent pas : par exemple le non jugement s’applique à l’absence de tristesse ou de joie lorsqu’on prend connaissance de certaines informations. Le non jugement doit également s’appliquer à l’incompréhension de ses propres ressentis : c’est ok si on est incapable de mettre des mots sur ce qu’on ressent ou de comprendre ce que ça veut dire. Apprendre à faire cela prend du temps !

Il est également important de ne pas se juger soi-même si on découvre qu’on a envie que les gens fassent ou disent certaines choses ou si on s’attend, basé sur des expériences passées douloureuses, qu’une situation tourne à la catastrophe. Ces pensées ont une logique qui a ses racines dans un passé désagréable. Elles ont besoin d’être accueillies sans colère ni jugement afin d’avoir la place de s’épanouir en nouvelles pensées mieux adaptées à l’ici et maintenant.

Pour aider à ce processus, il est important d’observer les points de similitudes et de différences entre le présent et le passé. Les points de similitude expliquent pourquoi les pensées se sont déclenchées tandis que les points de différence permettent d’adopter de nouveaux comportements et de nouvelles pensées ancrées dans l’ici et maintenant. Une fois ces différences bien conscientisées, il est possible de comparer les peurs du passé à la réalité de l’ici et maintenant. Est-ce que ces peurs sont toujours adaptées ou peuvent-elles être laissées dans le passé ?

Tout cela doit se faire avec énormément de compassion envers toutes les parts. Elles ont besoin de patience et de soutien pour se connecter à l’ici et maintenant.

Bibliographie de la série

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