Résumé « Les expériences dissociatives comme médiatrices entre les traumas infantiles et les hallucinations auditives »

Auteurs : Salvador Perona-Garcelán, Francisco Carrascoso-López, José M. García-Montes, María Jesús Ductor-Recuerda, Ana Ma López Jiménez, Oscar Vallina-Fernández, Marino Pérez-Alvarez & María Teresa Gómez-Gómez.


Référence :
Perona-Garcelán, S., Carrascoso- López, F., García-Montes, J. M., Ductor-Recuerda, M. J., López Jiménez, A. M., Vallina-Fernández, O., Pérez-Álvarez, M., & Gómez-Gómez, M. T. (2012). Dissociative experiences as mediators between childhood trauma and auditory hallucinations. Journal of Traumatic Stress, 25(3), 323‑329. https://doi.org/10.1002/jts.21693

Introduction

Dans cet article, les auteurs s’intéressent aux liens entre les expériences dissociatives, les symptômes dits « psychotiques » et les traumas infantiles.

Ils évoquent le fait que des symptômes psychotiques peuvent apparaître suite à des traumas ; en effet, la prévalence de vécus traumatiques durant l’enfance chez les patients psychotiques a été estimée entre 28 et 73% selon plusieurs études. Pour les auteurs, la dissociation péri-traumatique serait un élément de compréhension du lien entre traumas et troubles psychotiques.

Ils définissent la dissociation péri-traumatique comme un mécanisme de défense. Elle est le résultat d’un manque d’intégration du fonctionnement psychique déclenché par les traumas. Cela permet de faire face aux traumatismes et à leurs conséquences après-coup. Ils la conceptualisent comme un spectre allant d’un épisode dissociatif bref et transitoire, normal et non pathologique, à des symptômes handicapants par leur intensité et leur fréquence. Enfin, ils évoquent le fait que les symptômes dissociatifs ne sont pas exclusifs aux troubles dissociatifs. Ils peuvent se retrouver dans le trouble de la personnalité borderline, la schizophrénie, le trouble de stress post-traumatique, etc.

Les auteurs expliquent ensuite que le lien entre la dissociation et les expériences hallucinatoires a fait l’objet d’études par le passé (voir notre article « Dissociation, TDI et hallucinations »). Ces études ont montré que les symptômes dissociatifs rendent plus vulnérable aux manifestations hallucinatoires. La dépersonnalisation semble d’ailleurs être un facteur prédicteur majeur dans le vécu d’hallucinations auditives. Certains chercheurs ont même affirmé que la dissociation pourrait avoir une fonction médiatrice entre le trauma et les symptômes psychotiques, qu’elle pourrait servir d’intermédiaire entre les deux.

C’est cette dernière affirmation que les auteurs veulent tester dans cette étude, en se centrant plus spécifiquement sur les manifestations hallucinatoires auditives et sur les délires. Ils ont ainsi émis trois hypothèses : la dissociation a effectivement un rôle médiateur, les symptômes de dépersonnalisation sont les seuls à avoir un effet significatif et ils n’auraient une influence que sur les hallucinations auditives.

Méthode

Participants
Le groupe de participants se compose de 71 patients ayant un diagnostic de trouble psychotique. Leur diagnostic à chacun répond aux critères du DSM-IV-TR. Au moment de l’étude, aucun n’est hospitalisé, ils sont tous sous traitement et la moyenne d’âge est de 39,08 ans.

Dans les diagnostics, on retrouve :

  • 66 patients avec un trouble de schizophrénie paranoïde
  • 3 patients avec un trouble schizo-affectif
  • 1 patient avec un trouble délirant

Protocole
Les participants ont rempli la « Positive and Negative Syndrome Scale » (PANSS), ainsi que la « Dissociative Experiences Scale » (DES) et le « Trauma Questionnaire » (TQ).

La PANSS a servi à mesurer la présence de symptômes psychotiques positifs et négatifs.
La DES a servi à mesurer les expériences dissociatives selon trois sous-domaines : l’amnésie, l’absorption et l’implication dans l’imaginaire, et la dépersonnalisation/déréalisation.
La TQ a servir à mesurer le nombre de trauma durant l’enfance, en utilisant les données relevées avant l’âge de 15 ans.

Analyse des données
Les auteurs ont utilisé deux scénarios d’analyse. Le premier, simple, n’a pris en compte que le score total à la DES comme variable médiatrice. Le second, complexe, a pris en compte le score de chaque sous-domaine de la DES comme variable médiatrice potentielle.

Afin d’éviter la redondance entre les différentes échelles, l’item 28 de la DES, qui mesure la fréquence des hallucinations auditives, a été exclu.

Résultats

32 patients (45.1%) des participants ont déclaré avoir vécu des traumatismes durant leur enfance ; 39 (54.9%) ont déclaré ne pas en avoir vécu.

La présence de trauma durant l’enfance est associée positivement au score total de la DES, à ses trois sous-domaines, ainsi qu’aux hallucinations et aux délires.

Dans le scénario simple, les traumas n’ont pas eu d’impact direct sur les hallucinations. En revanche, le score de la DES a pu être lié avec lesdits traumas. Aussi, l’effet médiateur de la dissociation entre les traumas et les hallucinations a pu être mis en évidence. Aucun effet de la dissociation n’a pu être observé sur les délires.

Dans le scénario complexe, seul le score au sous-domaine de dépersonnalisation a eu un effet significatif et a joué le même rôle que le score total à la DES du scénario simple.

Conclusion

Cette étude a montré que la dissociation péri-traumatique, le trauma et les hallucinations auraient bien un lien entre eux. Elle a également permis de montrer que la dissociation semble être l’élément intermédiaire entre le trauma et les hallucinations dans les troubles psychotiques. Plus spécifiquement, la dépersonnalisation semble être le symptôme dissociatif-clef de cet effet médiateur.

Néanmoins, les auteurs précisent bien que l’analyse de telles données n’est pas simple et qu’elles ne permettent pas d’établir des liens de cause à effet, seulement de les suggérer. Ils relèvent également d’autres limites, telles que :

  • le fait que les questionnaires se basent sur les souvenirs du patient uniquement, ce qui pourrait avoir mené à une sous-estimation des traumas et de leurs impacts
  • l’utilisation de plusieurs questionnaires, ce qui augmente le risque de chevauchement des variables, ainsi que les tentatives de limiter ce chevauchement, qui ont pu avoir un impact sur les résultats
  • les participants n’ont pas reçu de diagnostic officiel de trouble dissociatif, seuls les symptômes dissociatifs ont été relevés
  • les participants étaient principalement masculins, ce qui rend difficile la généralisation des résultats à l’ensemble de la population.

De fait, voici les pistes d’explications que proposent les auteurs, qui demanderaient à être approfondies par de nouvelles études :

  • le trauma durant l’enfance est le point d’origine de beaucoup de symptômes dissociatifs, d’hallucinations et de délires
  • l’impact de ces traumas peut être indirect et s’exprimer à travers la dissociation, pour se retrouver dans les hallucinations notamment. Les auteurs suggèrent que la dépersonnalisation augmente le risque de croire que certaines pensées, émotions, intrusions traumatiques, etc. proviennent de l’extérieur plutôt que de l’intérieur de soi
  • les croyances métacognitives et les dissonances cognitives ont sûrement un impact dans le phénomène

Dans la mesure où la dissociation ne semble pas jouer de rôle d’intermédiaire entre les traumas et les délires, et que 54.9% des participants ont déclaré ne pas avoir vécus de trauma, les auteurs proposent deux pistes d’explications supplémentaires : que le trauma affecte directement la personne en biaisant ses croyances sur elle-même et le monde ; que d’autres facteurs, par exemple physiologiques, sont à prendre en compte.

Les auteurs ajoutent que leurs pistes sont cohérentes avec les recherches précédentes, qui suggèrent que les symptômes psychotiques peuvent « prendre deux chemins ». Le premier est celui des reviviscences traumatiques, où la dissociation peut jouer un rôle et va s’exprimer à travers des hallucinations. Ces dernières sont la conséquence d’un évitement de l’expérience interne, qui finit « projetée » à l’extérieur. Le second chemin serait celui du développement de croyances négatives sur soi et sur le monde, qui mène au délire.

Ainsi, cette étude permet de pointer l’importance de cerner l’origine des symptômes psychotiques et, surtout, des hallucinations. Si elles proviennent de traumatismes et sont des symptômes dissociatifs, il est impératif de prendre en compte les traumas dans le plan de traitement.

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