L’attachement en tant qu’adulte

Note : Cet article fait partie d’une série. La bibliographie de la série est disponible à la fin de l’introduction. Certains articles scientifiques ayant servis à la rédaction de cette série ont été traduis et/ou résumés de manière détaillée par notre équipe. Vous pouvez les retrouver dans cette section.

Les états d’esprit

Chez les adultes, on nomme « états d’esprit » les représentations construites au sujet des expériences d’attachement. Ils sont l’expression au présent des modèles internes opérants (MIO) que la personne aura développés jusque là. Ces états d’esprit se déclinent en plusieurs catégories. Si on peut faire le lien entre un état d’esprit présent et un style d’attachement développé durant l’enfance, il est important de noter que l’un n’est pas systématiquement la conséquence directe de l’autre. Comme de nouveaux MIO peuvent être créés tout au long de la vie, il est possible qu’un enfant avec un style d’attachement particulier évolue vers un état d’esprit adulte complètement différent.

Enfin, comme pour le style d’attachement, tout n’est pas clairement réparti. Nous avons généralement plusieurs MIO qui sont utilisés pour cadrer nos relations et notre vision du monde, il est donc possible d’avoir un état d’esprit dominant et un ou plusieurs états d’esprit secondaires, qui s’activeront dans certaines circonstances.

Les différents états d’esprit

Les adultes « sécures » ont des représentations d’attachement stables et bien conceptualisées. Ils sont en capacité de produire un récit cohérent de leur vécu en tant qu’enfant, peu importe la difficulté de ce vécu. Ils sont capables d’évoquer leurs figures d’attachement sans vivre de débordement émotionnel. Ils n’ont pas de mal à faire confiance aux autres et à partager leurs émotions. Les relations qu’ils tissent avec leur entourage sont importantes, sans pour autant verser dans de la dépendance anxieuse. Ils sont autonomes et capables de demander de l’aide en cas de besoin.

Les adultes « détachés » évitent souvent les souvenirs de leur enfance. Ils ont peu de cohérence dans leur manière de raconter leur vécu. Ils ont tendance à idéaliser leurs figures d’attachement, sans que leur expérience soutienne cette vision positive. Par exemple, il est possible qu’ils utilisent beaucoup d’adjectifs positifs pour décrire leurs relations avec leurs parents, mais que les seuls exemples qu’ils puissent donner soient très anecdotiques ou négatifs. Leur expression émotionnelle est réduite. Ils intellectualisent beaucoup, tout en ayant du mal à mettre en lien leurs expériences passées et leurs comportements présents. Ils ont des difficultés à demander de l’aide et se sentent plus en sécurité lorsqu’ils ne comptent que sur eux-mêmes.

Les adultes « préoccupés » sont capables de donner beaucoup de détails sur leur enfance, mais vont avoir une forte tendance à la digression qui les empêche de maintenir la cohérence de leur récit. Leurs émotions débordent facilement lorsqu’ils parlent de leur vécu et de leurs figures d’attachement. Les émotions dominantes sont souvent la colère et la peur. Dans leurs relations, ils ont du mal à se sentir aimés ou dignes de cet amour. Ils ont une tendance à l’hypervigilance, à la jalousie et ont souvent besoin d’être rassurés.

Les adultes « désorganisés » peuvent combiner plus ou moins de caractéristiques des trois précédents. Les différentes attitudes vont s’alterner selon les personnes et le contexte, dans une pseudo-cohérence qui disparaîtra totalement lorsqu’ils sont confrontés à un déclencheur rappelant leurs traumatismes. Quand ils sont déclenchés, ce sont les comportements de défense (fuite, combat, figement) qui prennent le relais. Ainsi, ils ont des difficultés à maintenir des relations stables.

L’attachement sécure mérité

La notion d’attachement sécure mérité désigne la capacité qu’ont les adultes à pouvoir créer dans le présent, en eux, les expériences d’attachement sécure dont ils n’ont pas pu bénéficier enfant. Cela se fait à l’aide de différentes ressources (livres, amis, thérapie…), ou à travers le fait de s’occuper de leurs enfants : en faisant l’effort d’adopter une attitude la plus sécure possible, l’adulte fait lui aussi l’expérience de l’apaisement qu’il procure à son enfant.

Ce phénomène peut aussi se produire lorsqu’une personne avec un trouble dissociatif apprend à coopérer avec les différentes parts dissociées qui vivent à l’intérieur d’elle. Apprendre à les écouter, à les prendre en compte, à leur faire une place, à les rassurer et les protéger permet à la personne entière de faire l’expérience de ce qu’est l’attachement sécure.

Cette capacité permet donc de passer d’un style d’attachement insécure de l’enfance à un état d’esprit sécure à l’âge adulte.

L’attachement en tant que parent : le système de soin

Dans des conditions normales, lorsqu’un enfant émet des signaux de détresse, cela va déclencher des comportements de soin de la part de l’adulte : on parle de système de  caregiving, littéralement « prendre soin de » ou encore de système de soin. Comme le système d’attachement, c’est un système motivationnel : il a un but précis, les comportements qui lui sont associés ont une base innée et vont évoluer selon les réactions de l’enfant et de l’environnement. Le but du système de soin est de protéger et réconforter l’enfant. Une fois ce but atteint, ce système pourra se désactiver.

Cela signifie que tant que son objectif ne sera pas rempli, le système de soin ne peut pas s’éteindre. L’impossibilité d’accomplir ce but peut être source de beaucoup de frustration et de stress pour les figures d’attachement. C’est pour cette raison que, par exemple les jeunes parents peuvent avoir du mal à tolérer une séparation forcée ou un peu trop prolongée d’avec leur enfant.

C’est ce système de soin qui donne la sensation à l’adulte d’être « lié » à son enfant. Ce n’est pas le système d’attachement de l’adulte. En effet, le système d’attachement est impliqué uniquement dans la demande de protection et le sentiment de sécurité, or c’est à l’adulte que revient l’exclusivité du rôle de protection et de régulation. L’enfant ne devrait jamais être responsable de la protection ou de la régulation des adultes qui l’entourent ; il ne devrait jamais servir de figure d’attachement aux adultes qui s’occupent de lui.

S’il vous arrive quelque chose et que votre enfant est parmi les premières personnes à qui vous voulez en parler pour obtenir du soutien, cela ouvre la porte à la « parentification », qui est une forme de violence émotionnelle. Informer votre enfant de ce qui se passe dans votre vie, pour qu’il comprenne mieux vos réactions, qu’il ne s’imagine pas de scénario catastrophe ou qu’il sache que vous comprenez ce qu’il ressent est une chose ; avoir besoin de lui « vider votre sac » en est une autre, qui devrait être évitée. En effet, si vous, avec un cerveau d’adulte, n’arrivez pas à gérer vos émotions, comment un enfant dont le cerveau est immature et facilement submergé pourrait les tolérer ?

Comme le système d’attachement, le système de soin n’est pas synonyme d’amour, et inversement. Ce n’est pas parce qu’on aime son enfant que notre système de soin s’active de manière adéquate ou que nos comportements sont réellement adaptés à ses besoins. Le système de soin est également différent de l’hyper-protection, de la protection anxieuse ou du laxisme. En effet, il doit respecter le besoin d’attachement de l’enfant, mais aussi son besoin d’exploration, d’autonomie, de cadre et de limites.

Ainsi, avoir des comportements de soin adaptés revient à se rendre suffisamment disponible, sans pour autant être envahissant ou permissif. Les comportements de soin se modulent selon les réactions de l’enfant, de manière à être aussi accordé que possible aux limites et aux besoins qui lui sont propres. De fait, deux enfants du même âge pourront activer des comportements de soin complètement différents chez la même personne : ils n’ont pas les mêmes besoins, ni les mêmes capacités, ni les mêmes limites.

Il est important de noter que la notion de disponibilité n’est pas qu’une question de disponibilité physique. La disponibilité émotionnelle, la capacité à écouter, prendre en compte, valider, reformuler, expliquer, apaiser, etc. les émotions et les ressentis de l’enfant sont également des compétences capitales.

Une précision qui a son importance : le système de soin et les réseaux neuronaux qui le gèrent sont relativement similaires entre les hommes et les femmes. Les différences qui s’observent proviennent surtout du temps passé à s’occuper de l’enfant. En effet, plus on consacre du temps aux comportements de soin et plus le cerveau va se développer de manière à les optimiser – et ce peu importe qu’on soit un individu de sexe masculin ou féminin. Ce sont notre éducation et notre culture qui vont venir influencer et remodeler l’expression de ces comportements ; en ce qui concerne sa base innée et biologique, notre système de soin et les comportements associés sont exactement les mêmes, peu importe le sexe. C’est ainsi qu’on peut retrouver des cultures dans lesquelles les hommes donnent également le sein aux bébés, non pas dans un but d’alimentation, mais pour aider à la régulation émotionnelle.

Au tout début de la vie de l’enfant, les comportements de soin seront plus centrés sur la proximité physique et sur des actes rassurants : prendre le bébé dans les bras, lui parler doucement, le bercer. Par la suite, il deviendra possible de s’appuyer de plus en plus sur le langage et de développer une relation basée sur le partage et la coopération.

L’acquisition de la notion de coopération nécessite que l’enfant ait d’abord pu s’attacher de manière sécure à sa figure d’attachement. En effet, l’attachement sécure sous-entend que l’enfant a intégré le fait que l’adulte en face de lui fait de son mieux pour qu’il se sente bien. Il sait grâce à ses expériences passées que communiquer, partager et réfléchir avec l’adulte sur la situation sera bénéfique pour lui. De fait, un enfant avec un attachement sécure tolérera mieux les règles et participera plus volontiers à la recherche de compromis. A l’inverse, un enfant avec un attachement insécure pourrait être résistant face aux règles, refuser la notion de compromis, n’osera pas communiquer ou ne saura pas communiquer de manière adaptée. La coopération de l’enfant n’est pas un dû : la figure d’attachement doit fait des efforts afin de construire les bases qui la rendront possible.

Enfin, le système de soin est grandement influencé par l’état d’esprit actuel du système attachement de la personne. Un adulte préoccupé aura tendance à répondre de manière anxieuse aux signaux d’attachement de l’enfant ; un adulte détaché pourrait ne pas remarquer les signaux de mal-être émotionnel ou y répondre par de la mise à distance et de l’intellectualisation ; un adulte désorganisé pourrait répondre de manière adaptée à ces signaux un jour, par de l’anxiété le lendemain, puis ne pas les remarquer le jour d’après.

La transmission de l’attachement

Comme le style de comportements de soin dépend de l’état d’esprit de la figure d’attachement, il est possible de retrouver une forme de « transmission » de l’attachement d’une génération à l’autre. Un adulte avec un état d’esprit sécure aura plus de chances de permettre à son enfant de développer un attachement sécure. Un adulte avec un état d’esprit désorganisé aura plus de risques que ses comportements provoquent une désorganisation de l’attachement de son enfant.

Ceci dit, si les comportements d’attachement et de soins actuels de l’adulte ont un pouvoir prédicteur fort lorsqu’il est la figure d’attachement principale de l’enfant, il n’est pas le seul paramètre à prendre en compte. La génétique et l’environnement, par exemple, sont des éléments importants dans le développement de l’attachement de par les comportements qui vont être exprimés, leur intensité, etc. La recherche est toujours en cours sur ces éléments et sur l’influence qu’ils peuvent avoir dans la « transmission » de l’attachement.

Un point qui semble décisif dans cette transmission, c’est l’adéquation des réponses de soin de l’adulte et sa capacité à évaluer son impact sur l’enfant. Par exemple, un adulte qui a des réponses spontanées peu efficaces, mais qui arrive à s’en rendre compte, à les corriger et à faire acte de réparation auprès de son enfant ; cet adulte a de grandes chances de rester dans la « zone grise » qui permettra à son enfant de développer un attachement sécure.

Enfin, la présence de traumatismes non résolus chez une figure d’attachement a pu être identifiée comme un facteur jouant un rôle important dans le développement d’un attachement désorganisé chez l’enfant. En effet, soit à cause des comportements agressifs ou de repli déclenchés par les reviviscences traumatiques, soit à cause du manque de cohérence dans les comportements du parent, l’enfant a de plus grands risques d’être effrayé par l’adulte. La maltraitance et la négligence vécues par l’adulte peuvent aussi être à l’origine de carences dans certains apprentissages sociaux, qui vont le rendre moins compétent lorsqu’il devra s’accorder aux réponses de son enfant et adapter son propre comportement.

Avec toutes ces informations, la question de l’effet de la présence d’un trouble dissociatif chez un parent et son effet sur l’enfant se pose. La recherche s’est déjà penchée dessus et a pu mettre en évidence qu’un trouble dissociatif en lui-même n’était pas un facteur prédicteur fiable du style d’attachement d’un enfant. Ce qui affecte le plus l’enfant est plutôt la manière dont s’exprime le trouble.

En effet, chez certains, la dissociation va accentuer le manque de cohérence comportementale et rendre plus difficile l’expression de comportements de soin adaptés. Chez d’autres, en revanche, la dissociation va permettre de structurer le comportement de manière à ce que ce soit toujours une part dissociée sécure et contenant tous les éléments du système de soin qui s’occupe des enfants. Les parents avec TD complexe dans le premier cas auront besoin d’aide pour s’occuper de leurs enfants, tandis que ceux du second cas seront parfaitement compétents, voire plus compétents que la moyenne, et pourraient avoir besoin d’aide pour gérer d’autres aspects de leur vie.

L’attachement entre adultes

L’attachement à de nouvelles figures se poursuit tout au long de la vie. En tant qu’adulte, nous avons donc, nous aussi, des figures d’attachement. Elles ne sont pas nécessairement les mêmes que durant notre enfance. Par exemple, l’attachement peut être impliqué dans les relations amicales. Il est aussi un composant des relations amoureuses. C’est lui qui nous orientera vers des personnes précises lorsque ça ne va pas, lorsqu’on vit une situation difficile et qu’on a besoin de soutien.

Une relation équitable et équilibrée entre adultes se base sur la co-régulation. La co-régulation désigne le fait de pouvoir alterner entre le système d’attachement et le système de soin selon nos besoins et ceux de la personne en face de nous. Ces comportements d’attachement et de soin respectent les limites de chacun et n’envahissent pas l’autre. Cela permet d’aider chaque personne à s’apaiser, à retrouver son équilibre psychobiologique et à restaurer son sentiment de sécurité.

La capacité à mettre en place une relation basée sur la co-régulation demande des compétences de communication, d’auto-régulation et d’autonomie suffisamment développées de la part de chacune des personnes impliquées. Cela fait jouer des capacités comme celle à poser ses limites, à les faire respecter, à entendre les limites de l’aute, à communiquer sur les éventuels conflits et désaccords de manière non violente, à pouvoir être disponible émotionnellement (ou à pouvoir communiquer sur son manque de disponibilité), à pouvoir demander de l’aide, à pouvoir tolérer et réguler ses propres émotions, etc.

L’autre ne doit pas être une béquille dont on ne peut se passer. Sinon, on sort d’une relation entre adultes pour revenir à une dynamique d’attachement enfant-parent. L’autre doit être une aide, un complément. Ces compétences peuvent se travailler dans le cadre d’une relation thérapeutique, avec un psychothérapeute sensibilisé à ce type de problématiques.

Pour ces raisons, le lien d’attachement entre adultes est assez long à se former. On estime qu’il faut à peu près deux ans d’interactions répétées, sécures, stables, permettant la construction d’une co-régulation efficace pour qu’un lien d’attachement soit « complet » et permette de se sentir réellement en sécurité auprès de l’autre.

Une autre particularité à prendre en compte dans le lien d’attachement entre adultes est que les hormones qui favorisent l’attachement sont libérées en très grandes quantités lors des situations d’intimité émotionnelle, physique et sexuelle. Ceci dit, il ne faut pas oublier que les liens qu’on crée avec les autres ne dépendent pas que du système d’attachement. Il y a également le système de soin, le système de défense, le système de la sexualité, le système de compétition pour le rang social et le système de coopération avec les pairs. Chacun peut être complémentaire ou opposé au système d’attachement, influencé par lui ou l’influencer. Ainsi, un lien principalement formé sur la base des comportements du système de la sexualité n’est pas un lien d’attachement proprement dit – même s’il peut en créer l’illusion.

Enfin, la création d’attachements sécures en tant qu’adulte est un facteur protecteur notable face aux troubles mentaux et un élément-clef de la guérison des traumas psychiques. Avoir un partenaire sécure permet de tisser une relation solide, qui encourage l’expression et le partage des émotions. Pour quelqu’un avec un état d’esprit insécure, avoir un partenaire sécure peut aider à surmonter les comportements inadaptés issus de son insécurité ; cependant, il est également possible qu’un partenaire trop insécure et instable provoque une désorganisation chez la personne sécure.

Conclusion

En tant qu’adulte, les modèles internes opérants développés tout au long de la vie s’expriment en tant que « états d’esprit ». L’état d’esprit est similaire au style d’attachement développé durant l’enfance, mais il n’est pas son prolongement systématique. Une personne avec un style d’attachement insécure peut réussir à se construire un état d’esprit sécure : on parle d’attachement sécure mérité.

Dans le lien parent-enfant, le sentiment d’attachement que ressent l’adulte est normalement le fait du système de soin. Le système de soin désigne l’ensemble des comportements nécessaires à la prise en charge de l’enfant. Il n’est pas synonyme d’amour : on peut aimer très, très fort son enfant et avoir des comportements de soin qui ne cadrent pas avec ses besoins, qui sont inadaptés ou inefficaces.

Il peut arriver que le sentiment d’attachement que ressent l’adulte soit issu du système d’attachement ; que l’enfant soit une source de soutien très importante pour lui. Néanmoins, ce cas représente une forme de violence émotionnelle vis-à-vis de l’enfant. Celui-ci se retrouve responsable du sentiment de sécurité et de l’apaisement de la personne censée être sa figure d’attachement, alors que son cerveau n’est même pas encore capable de gérer ses propres émotions.

De par les effets de l’état d’esprit sur les comportements de soin, et donc sur la qualité du sentiment de sécurité que le parent offre à l’enfant, on peut observer une forme de transmission de l’attachement d’une génération à l’autre.

Enfin, un lien d’attachement équilibré entre adultes se base sur la co-régulation : chacun exprime tour à tour, selon ses besoins et ceux de l’autre, ses comportements d’attachement et ses comportements de soin. Cela est fait dans le respect des capacités et des limites de chaque personne, et suppose d’avoir déjà acquis une certaine autonomie dans sa capacité à s’auto-réguler.

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