Le TDI comme neuroatypie ?

Un débat assez houleux dans certaines parties d’Internet concerne l’inclusion, ou non, du TDI sous le terme-parapluie des neuroatypies. Dans cet article nous allons aborder différents éléments autour de cette question. Dans un premier temps nous allons revenir sur les origines des termes « neurodiversité », « neurodivergent », « neurotypique », « neuroatypique », puis nous définirons le sens que nous donnerons à ces termes dans le reste de l’article.

Ensuite, nous tenterons de vérifier dans quelles mesures les troubles neurodéveloppementaux principaux correspondent à nos définitions. Nous tenterons de voir si d’autres troubles souvent rangés dans les neuroatypies, comme les troubles de la personnalité, pourraient correspondre à la définition cadrée par notre article.

Enfin, nous nous pencherons sur le cas du TDI en particulier pour tenter de voir s’il rentre, ou pas, dans le cadre de notre définition d’une neuroatypie.

Neuroatypie, neurodivergence, neurodiversité : définitions

Afin de bien comprendre de quoi nous parlons lorsque nous utilisons des termes comme « neuroatypie » ou « neurodiversité », nous allons revenir sur l’origine de ces termes, sur la manière dont ils sont utilisés par différentes communautés et tenterons de leur trouver le cadre le plus rigoureux possible.

Neurodiversité

Le terme de « neurodiversité » a été créé dans les années 1990. [1] C’est un terme politique qui ne se base sur aucune étude médicale ni aucun diagnostic.

Le but de ce terme est de lutter contre l’eugénisme et l’exclusion des gens à cause de leur fonctionnement cérébral. Il s’agit de mettre en avant l’importance de préserver et célébrer la diversité humaine, y compris du point de vue neurologique/psychique. À l’origine, le terme est apparu en marge des mouvements pour l’inclusion menés par les communautés autistes. Avec le temps, il a évolué en un terme strictement descriptif incluant toutes les neurologies différentes, de la même façon que la biodiversité inclut toutes les espèces, y compris les bactéries, virus, etc.

Ce terme est radicalement incluant. Il n’a pas pour but de faire le tri entre le « normal » et le « pathologique », entre le « typique » et l’« atypique ». Une personne seule n’a aucune neurodiversité, une personne seule ne peut pas être « neurodiverse ». La neurodiversité décrit l’état d’un groupe, la variance neurologique/psychique au sein de ce groupe. Un groupe composé uniquement d’autistes aura une neurodiversité très faible. Un groupe composé de toutes sortes de troubles mentaux et neurodéveloppementaux aura une neurodiversité très forte.

La page Wikipédia anglaise [2] affirme que le terme de « neurodiversité » se baserait sur le modèle social du handicap et que celui-ci affirmerait que le handicap est issu uniquement des barrières sociales et non des conditions physiques des personnes. C’est est une mauvaise interprétation du modèle social du handicap. En réalité, celui-ci affirme que le comportement des gens vis-à-vis du handicap est plus handicapant que le handicap lui-même.

Par exemple, une personne avec des douleurs chroniques est, dans une société validiste (qui considère qu’une personne valide a plus de valeur sociale qu’une personne handicapée), beaucoup plus handicapée par les barrières sociales, qui l’empêchent d’avoir accès à un traitement adapté, que par ses douleurs. Ses douleurs sont handicapantes quelle que soit la situation, mais un accès correct aux médicaments et aux accommodations du quotidien (aide humaine, matériel médical adapté…) diminue fortement le handicap causé par lesdites douleurs. Le modèle médical, quant à lui, va plutôt avoir tendance à pathologiser les handicaps et les étiqueter comme quelque chose de « mauvais » par essence, quelque chose à « éradiquer », tout en déshumanisant ou infantilisant les personnes handicapées. [3]

Une autre mauvaise interprétation de la neurodiversité est de dire que tout le monde est différent, qu’il n’y a pas de pathologie ni de déficit et donc, pas de besoin de traitement. [4]

En réalité, quand on dit que tout le monde est différent, cela signifie que tout le monde a des besoins différents. Il n’y a pas qu’une seule façon d’enseigner, qu’une seule façon d’organiser le monde du travail, qu’une seule façon d’accueillir le public… Au contraire, il est nécessaire de savoir adapter sa manière d’expliquer, de communiquer, de s’organiser, pour permettre à chaque individu de s’épanouir le mieux possible.

Neurodivergent  vs neurotypique

Le terme anglais « neurodivergent » est issu d’études en sociologie [5] et a été inventé par Kassiane Asasumasu [6]. À l’origine, il désignait les troubles neurodéveloppementaux, voire uniquement l’autisme [5 ; 6], puis il s’est élargi pour inclure d’autres troubles incurables, comme la bipolarité ou la schizophrénie. [7] Dès la première définition du terme, cela limite son application aux troubles d’origine traumatiques qui sont, eux, curables (sous conditions d’accès au traitement adapté et en gardant à l’esprit que « guérison » ne veut pas dire la même chose pour tout le monde).

Malgré tout, d’autres personnes considèrent que n’importe quelle maladie mentale entraîne un cerveau « atypique », même quand elle est curable, puisqu’elle modifie la manière de fonctionner du cerveau. Donc la bipolarité, la schizophrénie, les troubles de la personnalité [8] mais aussi les TOCs, l’anxiété, la dépression [4] ainsi que l’épilepsie, les épisodes maniaques, les hallucinations, le syndrome de Tourette, la psychose, la migraine et d’autres encore [5] seraient des neurodivergences. De manière plus large, toute personne dont le cerveau aurait un mode de fonctionnement « différent » serait neurodivergente. Par extension, ce serait une manière non stigmatisante de dire « au cerveau anormal ». [4]

Le problème est que tout, dans la vie, modifie le fonctionnement du cerveau. Tout le monde peut souffrir d’une maladie mentale. À force d’inclure trop de choses dans le terme « neurodivergent », il finit par correspondre à absolument tout le monde, donc par ne plus vouloir rien dire – ou par devenir synonyme de « neurodiversité » ce qui, là encore, n’a pas vraiment de sens. Une personne seule n’a aucune neurodiversité, c’est un terme qui ne peut décrire qu’un groupe. Il devient vraiment nécessaire de réfléchir à restreindre son utilisation afin de lui conserver du sens. Une possibilité est de limiter son utilisation aux différences neurologiques présentes dès la naissance et, ainsi, d’exclure toutes les différences neurologiques apparaissant au cours de la vie. [5]

Le terme « neurotypique » est issu des communautés autistes afin de désigner les personnes non autistes [6]. La construction même du terme « neurodivergent » sous-entend une divergence par rapport à une norme. Cette norme est nommée « neurotypique ». Elle décrit la neurologie moyenne, typique, à laquelle on peut s’attendre chez un humain [7] ou, de manière plus large, un cerveau « normal », non pathologique. [4] Cette norme neurologique dépend du contexte socio-culturel dans lequel évolue la personne. [8] Par exemple, toutes cultures ne donnent pas la même importance au contact visuel durant les conversations, ce qui va, par conséquent, modifier le cadre de définition de l’autisme.

Dans son sens premier, « neurotypique » est synonyme de « alliste » c’est-à-dire, « non autiste ». Avec le temps, sa définition est devenue floue. Les troubles neurodéveloppementaux, comme le TDAH, ont des définitions claires, tandis que « neurotypique » semble n’en avoir aucune. [8] Même « aucun trouble neurologique » est une manière floue de définir le terme, puisque tout le monde n’est pas d’accord sur les « troubles » concernés.

Faire la distinction entre « trouble neurodéveloppemental » (neurodivergence) et « maladie mentale » est nécessaire pour comprendre ce que signifie « neurotypique ». Une distinction proposée par « Medical News Today » [8] est que :

  • Les neurodivergences n’auraient aucun impact sur la qualité de la vie de la personne, sous condition de lui apporter les accommodations nécessaires, au contraire d’une maladie mentale, qui n’aurait que des aspects négatifs, même lorsque des accommodations nécessaires sont apportées.
  • Inclure la neurodivergence dans son sens de l’identité ne causerait aucun problème à la personne, tandis qu’inclure la maladie mentale dans son sens de l’identité mènerait à un refus du traitement.
  • Une maladie mentale serait forcément curable ou, au moins, on peut en diminuer les symptômes avec l’aide d’un soutien thérapeutique, au contraire des neurodivergences qui demandent une accommodation constante.

Ces distinctions posent plusieurs problèmes. Tout d’abord, affirmer que l’impact de la neurodivergence en tant que trouble neurodéveloppemental disparaît quand on lui apporte les bonnes accommodations est une mauvaise interprétation du modèle social du handicap [3] ; de plus, affirmer qu’une maladie mentale cause de la détresse, même une fois correctement prise en charge et correctement accompagnée, sous-entend que le traitement de la maladie mentale ne servirait à rien, ce qui entre en contradiction avec nombres de résultats obtenus en psychothérapie.

Affirmer qu’il suffit, pour différencier une neurodivergence d’un trouble mental, de regarder comment la personne se comporte en incluant son trouble dans son sens de l’identité, est erroné. Déjà, il faut savoir faire la différence entre « comprendre et accepter » et « inclure dans son sens de l’identité ». Une des conséquences de l’inclusion dans le sens de l’identité peut être la création d’un sentiment d’appartenance communautaire qui va à son tour influencer le cercle social de la personne. Lorsqu’une personne inclut son trouble dans son identité au point de refuser tout traitement, par peur de « perdre » son trouble et sa communauté, là il y a un risque pour sa santé. Peu importe si le trouble est neurodéveloppemental (neurodivergence) ou si c’est une maladie. Cela peut aller, dans certaines communautés, jusqu’à repousser ou stigmatiser les personnes adhérant au traitement, parce qu’elles « sortent » de la communauté en « sortant » des symptômes – qu’on parle d’une personne neurodivergente adhérant aux accommodations ou d’une personne malade soignant/guérissant sa maladie.

Ainsi, une personne neurodivergente peut totalement refuser certaines aides parce que « Je suis comme ça, ça ne sert à rien d’essayer de changer les choses » ; ou encore, parce qu’en accommodant ses difficultés, lesdites difficultés disparaissent : elle peut donc se sentir moins légitime à se dire neurodivergente. Il y a également un risque supplémentaire d’introjecter et d’appliquer à soi toutes sortes d’idées reçues, de clichés, de conceptions négatives. Cela peut aller jusqu’à devoir se conformer aux stéréotypes de la société sous peine de ne pas être pris en compte. Certaines neurodivergences, comme l’autisme, sont énormément stigmatisées : intégrer ce stigmate à son sens de soi peut être délétère.

En ce qui concerne le problème posé par l’intégration trop profonde et centrale du « trouble » dans son sens de l’identité, il n’y a aucune différence entre une personne neurodivergente ou ayant un trouble mental. La conséquence sera la même dans tous les cas.

Plus la personne accepte sa condition sans s’identifier à ses troubles et plus elle la comprend, plus elle adhère au traitement et aux accommodations [4].

Pour finir, affirmer qu’une maladie mentale est forcément curable ou gérable, au contraire d’une divergence neurodéveloppementale, signifie que les neurodivergences sont ingérables. Avec cette logique, on ne devrait apporter aucune accommodation aux personnes autistes, TDAH, dys etc. puisque ce soutien thérapeutique n’apporterait aucun soulagement.

D’autre part, ce qu’on appelle « guérison » ou « soin » en termes de maladie mentale, n’est pas nécessairement un rétablissement complet et total. Pour certaines personnes, « guérir » veut dire vivre confortablement malgré les symptômes. Pour d’autres, cela veut dire se débarrasser des symptômes négatifs, sans pour autant atteindre un état où il n’y aurait aucune conséquence visible du trouble sur la vie de la personne. Pour finir, dans le cas de troubles neurodéveloppementaux qui sont gérables à l’aide de médicaments, comme le TDAH, cette manière de conceptualiser la maladie mentale catapulterait le TDAH dans la case des maladies plutôt que dans la case des troubles neurodéveloppementaux.

Nous voyons bien que, tenter de distinguer la maladie mentale de la neurodivergence sur la seule base des symptômes observables dans la vie quotidienne, ne permet pas d’obtenir de classification satisfaisante et rigoureuse.

Une autre distinction, proposée cette fois-ci par Stephanie Bethel, est que : une neurodivergence serait une différence à célébrer, tandis qu’une maladie mentale serait une souffrance à soigner. Une neurodivergence aurait des forces et des faiblesses (dont des maladies mentales comorbides), tandis qu’une maladie mentale comme la dépression n’aurait que des inconvénients. Une neurodivergence en tant que telle ne mettrait pas la vie de la personne en danger, au contraire d’une maladie. [5]

Ainsi, même s’il peut être argumenté que des personnes schizophrènes (par exemple) peuvent avoir un rôle important dans leur communauté religieuse (par exemple) de par leurs hallucinations, ce qui pourrait en faire une neurodivergence, il n’y a pas vraiment d’effet positif à proprement parler pour la vie de la personne au quotidien, ce qui en fait une maladie. La bipolarité permet peut-être une grande productivité par moments ce qui pourrait en faire une neurodivergence, mais l’instabilité de l’humeur rend très difficile l’utilisation de cette énergie sans effet nocif pour le corps ou la santé mentale au long terme, ce qui en fait une maladie. Les tics dans le syndrome de Gilles de la Tourette peuvent causer une grande détresse. Et ainsi de suite. [5]

Nous verrons dans la partie « définitions » un peu plus loin ce qu’est médicalement un trouble neurodéveloppemental et donc, ce qu’est médicalement une neurodivergence.

Neuroatypique

Le terme français « neuroatypique » a connu la même évolution que le terme anglais « neurodivergent ». Tout comme « neurodivergent », il désignait à l’origine les troubles du spectre de l’autisme, puis il s’est étendu aux troubles neurodéveloppementaux. [9 ; 10] Actuellement, tout comme « neurodivergent », tout le monde y met à peu près n’importe quoi. Ainsi, la totalité des maladies mentales sont, par certains, incluses dans le terme « neuroatypie ». [10]

C’est un terme qui est vu très positivement et qui, d’après une source [9], semblent inclure presque exclusivement des choses observables chez des personnes à Haut Potentiel Intellectuel, passant sous silence tous les inconvénients liés aux troubles neurodéveloppementaux.

Les neuroatypies concerneraient 25% des gens. Cela semble énorme, mais il faut se rappeler que certains troubles concernent une grande partie de la population. Par exemple, 20% des gens souffriront de dépression au cours de leur vie, ce qui les rend neuroatypiques. [10]

Une sous-catégorie de neuroatypies est nommée « psychoatypies » et désigne les troubles acquis (anxiété, dépression, troubles d’origine traumatique…) « vécus comme des vraies maladies » tout en restant des atypies. Celles-ci seraient des « neuroatypies soignables » au contraire des neuroatypies non soignables, d’origine génétique. [10]

La manière dont le terme « neuroatypique » englobe à peu près tout et n’importe quoi lui fait perdre son sens. Cela minimise et invisibilise la différence d’impact entre un trouble neurodéveloppemental et un trouble acquis, ainsi que la différence d’intensité et de gravité entre différents troubles mentaux. Normaliser jusqu’à nier le besoin de thérapie, lorsqu’on parle de troubles nécessitant une thérapie lourde comme le TDI, cela peut amener certaines personnes à entretenir le déni dissociatif des traumas. Cela peut également minimiser l’impact des violences et négligences infantiles sur l’état de santé de l’adulte.

Définitions utilisées dans cet article

Neurodiversité : comme pour la biodiversité interne à une espèce, mais spécifiquement appliquée à la diversité de structures cérébrales à la naissance – descriptif neutre et politique, ne porte aucun jugement de valeur sur l’état d’un cerveau.

Neuroatypique (anglais : neurodivergent) : personne présentant un trouble neurodéveloppemental d’origine génétique – terme politique cherchant à dé-pathologiser ces troubles afin de pousser la société vers l’accommodation de ces handicaps plutôt que leur éradication ou la tentative de « corriger » les comportements naturels et inoffensifs des handicapés pour les forcer dans une norme qui n’est pas adaptée à leur neurologie.

Un trouble neurodéveloppemental est une famille de troubles présents dès la naissance et apparaissant au cours du développement. L’individu se développe d’une manière atypique sans que cela puisse être attribué à son environnement, à des considération socio-économiques ou culturelles, etc.

Neurotypique : personne dont le cerveau est spécialisé pour les interactions sociales.

Par opposition aux troubles dys, une personne neurotypique va avoir une compétence langagière verbale très développée, une bonne motricité fine et corporelle, une bonne capacité à discriminer les lettres et les chiffres et à les déchiffrer dans l’ordre, une bonne capacité à écrire les lettres et les chiffres dans l’ordre.

Par opposition à l’autisme, une personne neurotypique va avoir un sens de l’empathie dirigé principalement vers ses congénères sans pour autant être très intense. Son sens moral va dépendre de la situation sociale dans laquelle la personne neurotypique est engagée (en public ou en privé, par exemple). Une personne neurotypique va utiliser autant ses émotions que sa réflexion afin de résoudre un problème. Sa communication va se faire de manière indirecte et par sous-entendus, avec énormément de messages passant par le biais de l’intonation, des expressions faciales, des subtilités posturales, etc. Elle va avoir une zone du cerveau spécialement dédiée à la reconnaissance et à l’identification des visages. Sa sensibilité sensorielle et émotionnelle va être réduite par rapport aux autistes. Elle va présenter des facteurs génétiques de protection face à la dissociation et autres troubles d’origine traumatique, au burnout, à l’anxiété, à diverse maladies génétiques comme des problèmes mitochondriaux, des allergies alimentaires, le Syndrome d’Ehlers-Danlos… Elle va également présenter des engagements intellectuels envers ses passions qui vont être limités dans leur intensité comme dans la durée.

Par opposition au TDAH, une personne neurotypique va être capable de forcer son attention à se fixer sur un sujet donné – tant pour permettre de faire quelque chose de désagréable que pour s’empêcher de faire quelque chose d’agréable. Elle va présenter une sensibilité réduite aux stimuli agréables et attractifs ainsi qu’une impulsivité et une intensité émotionnelle réduites. Ses centres d’intérêt vont être plus réguliers dans le temps, moins nombreux et entraîner un engagement plus restreint dans leur intensité, plus constant dans le temps. Elle va également présenter des facteurs génétiques de protection face aux addictions.

Les neuroatypies comme troubles neurodéveloppementaux

La CIM-11 considère la liste suivante comme des troubles neurodéveloppementaux : les troubles du développement intellectuel, les troubles du développement de la parole ou du langage (exemple : dysphasie), l’autisme, les troubles de l’apprentissage (exemple : dyslexie), les troubles de la coordination motrice (exemple : dyspraxie), le TDAH, et d’autres encore. Le syndrome Gilles de la Tourette et les Tics chroniques sont considérés comme une sous-catégorie de troubles neurodéveloppementaux.

À cause de la forte prédisposition génétique sous-jacente au développement de la bipolarité et de la schizophrénie, il est possible que ces maladies rejoignent la liste des neuroatypies avec l’évolution de l’état de la recherche. [5]

Cela signifie que le terme de « neuroatypie » doit être restreint aux différences neurologiques présentes dès la naissance, d’origine génétique, excluant toutes les différences neurologiques apparaissant au cours de la vie. [5]

Nous allons passer en revue plusieurs troubles et pour chacun, montrer en quoi il est, ou pas, une neuroatypique. Les troubles en question sont : l’autisme, le TDAH, les troubles dys, et les troubles de la personnalité. Quant aux troubles dissociatifs dont fait partie le TDI, nous en parlerons séparément.

L’autisme est une neuroatypie

Nous allons partir du principe que l’autisme est bien une neuroatypie, puisqu’il s’agit de la neuroatypie archétypale. C’est un trouble d’origine génétique, qui influence la structure cérébrale et la cognition dès la naissance.

Le TDAH est une neuroatypie

Le TDAH a un grand taux d’héritabilité génétique, estimé entre 70 et 80% chez les enfants. Chez les adultes, la persistance des symptômes visibles, ou du moins perçus par les patients, fait chuter ces chiffres à 30-40%. Ce phénomène ne signifie pas que le TDAH « se soigne » mais qu’avec l’âge et l’expérience, les adultes apprennent des comportements compensatoires pour mieux gérer leurs spécificités. L’un de ces comportements compensatoires est, par exemple, la création d’un environnement adapté à ses spécificités neurologiques. [11] En utilisant des outils de diagnostic clinique plutôt que les descriptions données par les patients, le taux d’héritabilité génétique du TDAH chez les adultes devient le même que chez les enfants.

Les facteurs environnementaux influençant les symptômes visibles du TDAH n’ont que des effets temporaires. [12] Il est nécessaire de prendre en compte les facteurs épigénétiques à l’œuvre, mais on peut exclure les facteurs environnementaux comme l’alimentation, les toxines, l’éducation… [13]

C’est donc un trouble d’origine génétique, inné et non acquis. Le TDAH est bien une neuroatypie.

Les troubles dys (exemple : dyslexie) sont des neuroatypies

Les troubles dys sont d’origine neurodéveloppementale. Le taux d’héritabilité de la dyslexie, par exemple, est de 70% environ. De nombreux gènes sont à l’œuvre, comme pour l’autisme ou le TDAH. L’effet du trouble est constant tout le long du développement, même si la présentation du trouble va varier en fonction des mécanismes compensatoires mis en œuvre. Les autres troubles dys comme la dyscalculie ou la dysphasie, fonctionnent de la même façon. [14]

Les troubles dys sont d’origine génétique, innés et non acquis. Ce sont donc des neuroatypies.

Les troubles de la personnalité ne sont pas des neuroatypies

Les traits de la personnalité ne sont pas d’origine génétique. Il peut y avoir des traits de tempéraments prédisposants, mais la personnalité se construit en grande partie au contact de l’environnement, notamment par imitation de son environnement social (parents, notamment) et par éducation. Les facteurs environnementaux sont l’influence principale du développement de la totalité des traits de personnalité. Les troubles de la personnalité ne font pas exception. [15]

L’héritabilité des troubles de la personnalité est de maximum 58% avec une moyenne à 45%. Le trouble de la personnalité narcissique est à environ 50% et la personnalité borderline, aux environs de 40%. [16]

Ainsi, avec l’influence environnementale forte et l’héritabilité faible (en comparaison des troubles neurodéveloppementaux) les troubles de la personnalité ne sont pas des neuroatypies.

Les origines de la dissociation

Nous allons aborder ici uniquement des troubles dissociatifs tels que définis dans le DSM et la CIM. Nous n’aborderons pas la multiplicité culturelle/spirituelle.

Certaines communautés Internet débattent afin de savoir si les troubles dissociatifs comme l’ATDS ou le TDI peuvent apparaître « sans trauma ». Certaines personnes affirment que c’est le cas et que cela signifie donc que le TDI est une neuroatypie. On peut y opposer l’argument qu’il est possible d’avoir un TDI sans avoir de souvenirs d’événements violents ou maltraitants à cause des amnésies. D’autre part, certaines maltraitances et négligences ne sont pas conceptualisées socialement comme telles et peuvent laisser à la personne dissociée le sentiment de n’avoir pas vécu de trauma. Parmi ces « traumas cachés » on peut compter la répression des pleurs ou l’attachement désorganisé.

D’autres personnes affirment que des parents dissociés vont souvent faire des enfants dissociés et que ça serait une preuve de l’origine génétique de la dissociation. Cet argument oublie l’existence de la transmission générationnelle des traumas. Il oublie également qu’un parent dissocié, « effrayant et effrayé », va faire dissocier l’enfant dont il prend soin. Il oublie que, sans le faire exprès, un parent dissocié peut présenter des carences dans sa capacité à prendre soin de l’enfant, à cause de sa propre dissociation. Il oublie les problèmes posés par l’attachement désorganisé et son rôle prépondérant dans la formation d’un trouble dissociatif chez les jeunes enfants.

Afin de sortir de ce débat épineux, nous allons nous pencher sur des études concernant l’héritabilité des traits dissociatifs, ainsi que sur des études concernant la structure cérébrale des personnes avec un TDI.

La génétique de la dissociation

Les symptômes dissociatifs en général ont une correspondance, pour les vrais jumeaux, de maximum 60% (souvent moins) avec 20% seulement chez les faux jumeaux. [17] Elle est en moyenne de 48% en cas de dissociation pathologique, 55% pour la dissociation non pathologique. [18] Quant au TDI en lui-même, il est peu étudié chez les jumeaux.

L’influence de l’environnement est d’au moins 45% dans les résultats à un test de symptômes dissociatifs. [19]

Cela signifie que, pour un même patrimoine génétique, il n’y a qu’une chance sur deux de développer un trouble dissociatif en étant dans le même environnement traumatique. Statistiquement, ce n’est pas significatif d’un lien direct entre la génétique et la dissociation. En effet, au vu des résultats des études similaires faites pour les troubles neurodeveloppementaux, on s’attendrait plutôt à des résultats autour de 80% si l’origine était strictement génétique. Les résultats semblent plutôt indiquer des prédispositions d’origine génétique, avec une forte influence des facteurs environnementaux. Par exemple, les troubles entraînant des problèmes de régulations émotionnelle et cognitive ont une prédisposition génétique de 38% ; or, ils sont connus pour favoriser le développement de symptômes dissociatifs. [18]

De manière générale, développer des troubles dissociatifs suite à des maltraitances infantiles n’est pas systématique. Il y a des facteurs génétiques prédisposants et/ou des facteurs génétiques protecteurs, ainsi que des facteurs épigénétiques qui sont en jeu. Ces facteurs génétiques ne vont pas, en tant que tels, amener le développement de troubles dissociatifs, mais ils vont moduler les conséquences des maltraitances et négligences sur le cerveau. Dans tous les cas, la corrélation est directe entre les maltraitances et le volume de l’hippocampe. Le volume de l’hippocampe va dépendre uniquement des maltraitances et donc de l’environnement, pas de la génétique. On en déduit qu’il est impossible de développer un trouble dissociatif uniquement sur des bases génétiques. [20]

Les troubles dissociatifs, en particulier le TDI, ne sont pas des neuroatypies.

La structure cérébrale de la dissociation

Le cerveau d’une personne avec des troubles dissociatifs est différent du cerveau d’une personne sans troubles dissociatifs. Toutes ces différences sont en lien avec les troubles d’origine traumatique et leurs comorbidités comme la dépression, l’anxiété, les troubles de régulation émotionnelle…

Les personnes avec des troubles dissociatifs présentent une structure cérébrale typique de l’état de stress post traumatique [20 ; 21] ou du trouble de la personnalité borderline, mais avec des contrastes encore plus marqués par rapport à la norme non traumatisée. Parmi les différences cérébrales observées dans les troubles dissociatifs, on note que certaines structures cérébrales sont réduites, à cause de l’excès des glucocorticoïdes émis durant les périodes de stress intense. [21]

On observe aussi des modifications dans beaucoup de zones du cortex frontal, en lien avec les troubles de la fonction exécutive et la dissociation. Le cortex pariétal montre des modifications liées au stress, qui sont en rapport avec la dépersonnalisation, la dissociation en général, les expériences « hors du corps » et l’anesthésie des sens physiques. Les lésions dans le cortex temporal sont plutôt en lien avec la déréalisation et les hallucinations. Tout le système limbique est rétréci, encore plus que dans l’état de stress post-traumatique, même s’il y a une certaine zone de flou qui n’est caractéristique ni de l’ESPT ni des troubles dissociatifs. [20 ; 21] Il y a une corrélation directe entre le taux de rétrécissement des structures, et l’intensité des symptômes dissociatifs. [20]

Ce sont en particulier les lésions causées par le stress sur le cortex pariétal qui sont les plus caractéristiques du TDI, ainsi que la taille parfois réduite de l’amygdale et systématiquement réduite de l’hippocampe. [20 ; 21 ; 22] De plus, les patients qui guérissent d’un TDI présentent, après guérison, un hippocampe plus gros qu’avant guérison. [22]

La grande similitude de structure cérébrale entre le TDI et d’autres troubles d’origine traumatique indique que le TDI est bien d’origine traumatique. Il y a également une corrélation directe entre les maltraitances et négligences graves chroniques durant la petite enfance, et le TDI – en particulier lorsque les événements en question ont eu lieu avant l’âge de 6 ans. En effet, la maturation du corps calleux du cerveau (la partie qui lie les hémisphères gauche et droit ensemble) se fait dans un sens rostro-caudal (de l’avant vers l’arrière), c’est-à-dire que le « genou » va atteindre sa pleine maturation le premier, et le bourrelet (splenium) le dernier. Les personnes avec TDI présentent des atteintes dans les parties les plus avant du corps calleux, ainsi que des traumas infantiles ayant commencé très tôt (avant 6 ans). Les personnes avec un ESPT présentent des atteintes dans le bourrelet, ainsi qu’un historique de traumas commençant plus tard dans la vie, après 6 ans. La corrélation temporelle est parfaite, entre l’âge durant les traumas et l’âge de maturation des structures cérébrales impactées. [20]

Conclusion

Le TDI, de part sa mise en place précoce et progressive, est un trouble développemental. Cependant, l’influence de l’environnement joue un rôle capital dans son apparition et c’est cette apparition qui va modifier le fonctionnement du cerveau, pas l’inverse. Une personne qui possède des facteurs génétiques prédisposant à la dissociation et qui grandit dans un environnement normal, non traumatisant, ne développera jamais de TDI – même en cas de trauma à l’âge adulte. Un enfant ou un jeune adolescent pris en charge rapidement pourra même avoir une guérison complète au bout de quelques mois à peine, et reprendre un développement psychique satisfaisant [23]. Pour un adulte, la guérison est plus compliquée, car l’empreinte du trauma est plus profondément marquée dans le cerveau. Néanmoins, elle reste possible, avec beaucoup de temps et d’efforts.

Le TDI n’est pas un neurotype différent. C’est une blessure chimique, physique, du cerveau, notamment par les glucocorticoïdes. Il peut y avoir une prédisposition génétique à dissocier, mais seule, sans traumas durant l’enfance, elle ne mènera jamais au développement d’un trouble dissociatif complexe. Tandis qu’une personne qui a le potentiel génétique pour devenir autiste, TDAH ou DYS le deviendra quoi qu’il arrive : c’est une neuroatypie. Pour une neuroatypie, l’environnement va surtout jouer sur l’intensité des symptômes visibles et la capacité à la compensation des symptômes, mais le fonctionnement du cerveau sera globalement le même quoi qu’il arrive. Aucune prise en charge ne peut modifier la structure d’un cerveau neuroatypique, tandis que la prise en charge peut modifier la structure d’un cerveau TDI.

Au vu de toutes ces informations, il devient impossible de classifier les troubles dissociatifs complexes, dont le TDI, parmi les neuroatypies. Une neuroatypie est une structure neurologique atypique présente dès la naissance, tandis que le TDI et l’ATDS (et les autres troubles d’origine traumatique) ne peuvent apparaître que dans des conditions environnementales spécifiques de négligences et maltraitances graves, en particulier durant la petite enfance.

Bibliographie

[1] : Singer, Judy. What is neurodiversity?, mis en ligne en 2019, consulté en septembre 2022. Disponible sur < https://neurodiversity2.blogspot.com/p/what.html >

[2] : Wikipédia. Neurodiversity, consulté en septembre 2022. Disponible sur < https://en.wikipedia.org/wiki/Neurodiversity >

[3] : Jeremy Andrew Davis. Social model of disability part 2, mis en ligne le 29 août 2022, consulté en septembre 2022. Disponible sur < https://www.tiktok.com/@jeremyandrewdavis/video/7137392222701407530 >

[4] : Cleveland Clinic. Neurodivergent, dernière mise à jour le 2 juin 2022, consulté en septembre 2022. Disponible sur < https://my.clevelandclinic.org/health/symptoms/23154-neurodivergent >

[5] : Stephanie Bethel. Why You’re Probably Not Neurodivergent | Revisiting Neurodiversity, mis en ligne le 13 mai 2021, consulté en septembre 2022. Disponible sur < https://www.stephaniebethany.com/blog/why-youre-probably-not-neurodivergent-revisiting-neurodiversity >

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